Peu de temps après les grandes manifestations des "Indignés" à la place de la Puerta del Sol de Madrid et dans d’autres villes espagnoles, un appel similaire a été rapidement diffusé à travers les médias sociaux (blogs, Facebook, Twitter) pour inviter les citoyens grecs à protester contre l’austérité le 26 mai à la place Syntagma (la place principale dans le centre d’Athènes). La diffusion a été suffisamment impressionnante pour qu’un deuxième appel a été presque inutile. Les gens étaient là pour rester.
C’est maintenant le 17e jour que la place Syntagma, ainsi que de nombreuses autres places en Grèce, semble être le seul endroit où des dizaines de milliers de personnes estiment que leur «indignation» peut trouver une expression réelle. C’est peut-être l’une des caractéristiques les plus fortes de la diversité, à bien des égards, de la foule qui constitue ce que nous appelons aujourd’hui "les Indignés grecs". Une caractéristique qui montre une crise de légitimité et de la représentativité du système politique, de plus en plus difficile à dissimuler.
La situation économique grave à laquelle la Grèce fait face après trois ans de crise mondiale et un an après l’activation du "plan de sauvetage» du FMI, de l’UE et de la BCE, en coopération avec le gouvernement grec, ne semble pas se diriger vers une solution. Le contexte qui justifierait une forte réaction du peuple grec est, par conséquent, évident. Ce qui n’était pas et n’est toujours pas évident, cependant, c’est la forme que cette réaction pourrait prendre, si elle va produire une vue commune sur "qui est à blâmer pour la crise", et si cette vue , à son tour, serait articulée avec des revendications communes, et dans ce cas, quel type de revendications.
Ce sont, je crois, les questions qui préoccupent d’abord de nombreuses personnes qui ont participé à la première manifestation de la place Syntagma (en plus, bien sûr, de leur besoin d’exprimer leur exaspération et sentiment d’injustice), et surtout les gens de gauche. Je dis, principalement parce qu’ils semblaient conscients du fait que, ce qui peut potentiellement émerger d’un tel rassemblement "spontané" d’un groupe hétérogène n’est pas acquis d’avance, et, qui plus est, n’est pas forcément progressiste. Malheureusement, dans le cadre de ce bref article, il est difficile, voire impossible d’analyser toutes les questions intéressantes venues dans la discussion (et pour cela, il est préférable de n’en aborder aucune). Heureusement, la gauche grecque participe activement au grand mouvement des "Indignés", toujours à la recherche de son identité.
Mais qu’est-ce qui s’est réellement passé sur la place Syntagma pendant ces 17 jours? Pour le dire très brièvement et donc de façon forcément simplifiée : il y a eu un processus d’auto-organisation et un dialogue ouvert avec une méfiance envers le système politique dans son ensemble. Certaines des personnes se rassemblaient sur la partie supérieure de la place, juste en face du Parlement, pour hurler contre la corruption et l’injustice an tapant sur des casseroles vides, tandis que d’autres participent à ce qu’on a appelé l’"assemblée populaire" quotidienne, une discussion ouverte où chacun pouvait exprimer son avis, ses propositions et ses sentiments, où il n’y avait pas de représentants et où la revendication qui a dominé depuis était la «démocratie réelle». Grâce à cette procédure, les "Indignés" ont réussi à rédiger un texte commun décrivant leurs caractéristiques communes, à exprimer leurs revendications liées à la situation économique, à organiser de petits ateliers thématiques traitant plus à fond de questions spécifiques (il y avait déjà eu deux débats avec une forte participation sur la crise de la dette), à décentraliser le dialogue au niveau des quartiers, à créer un site Internet qui rassemble les développements quotidiens et sert de point d’information central et auto-contrôlé (http://real-democracy.gr/). Beaucoup d’autres participants font du camping, jouent de la musique, font la cuisine, de la peinture et s’engagent dans diverses autres activités auto-organisées.
L’objectif politique principal émergeant aujourd’hui de l’« Assemblée populaire » est l’opposition au vote du nouveau programme d’austérité à moyen terme, qui devrait être discuté au Parlement grec le 15 Juin. Sera-ce une amorce pour des développements politiques ultérieur ? Cela reste à voir. Ce qui est déjà acquis, c’est la réappropriation active de l’espace public et une expérience inestimable pour les nombreux combats à venir.