Par Erhard Crome
Il a survécu plus de vingt ans au « court 20ème siècle ». Eric J. Hobsbawm a été l’un des grands penseurs à qui ce siècle passé a donné naissance. Historien, il était en même temps un conteur et un philosophe de l’histoire, pratiquant l’historiographie dans le champ de l’histoire sociale. Il a commencé ses travaux avec « le long 19ème siècle » de 1789 à 1914, à partir du point de vue de la classe ouvrière. Tout au long de sa vie, il s’est considéré comme un marxiste et a été membre du Parti communiste de Grande-Bretagne jusqu’à sa dissolution en 1991.
Eric J. Hobsbawm est mort à Londres le 1er octobre 2012. Il était né le 9 Juin 1917 à Alexandrie dans une famille juive dont les racines étaient en Europe de l’Est. Son père a épousé Percy Nelly Grün, originaire de Vienne, pendant la Première Guerre mondiale à Zürich.
Après la mort de ses parents, il a vécu de 1931 à 1933 avec un oncle à Berlin. Plus tard, il considérera cette période comme la plus formatrice de sa vie. Après l’ascension d’Hitler au pouvoir, il a suivi ses oncles à Londres, où il est devenu membre du Parti communiste en 1936 et a fait ses études au King’s College. A partir de 1940 il s’est battu avec l’armée britannique contre le fascisme allemand. Hobsbawm a ensuite travaillé au fameux Birkbeck College de l’Université de Londres, et de 1971 à sa retraite en 1982, il a été professeur d’histoire économique et sociale à l’Université de Londres.
Il s’est ensuite consacré exclusivement à la recherche sur le « Court 20ème siècle », qu’il fait commencer avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 et finir avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Ainsi, ce terme particulier pour désigner le 20ème siècle a été inventé par lui. Sa conclusion : « La tragédie de la Révolution d’Octobre […] était qu’elle ne pouvait produire autre chose que cet impitoyable et brutal socialisme de commando ». Il est nécessaire par conséquent de séparer « la question générale du socialisme de la question des expériences spécifiques du socialisme réellement existant. L’échec du socialisme soviétique ne dit rien sur la possibilité d’autres formes de socialisme ».
Dans le même temps, il a étudié le rôle du nationalisme. Son livre Nations et nationalisme depuis 1780 a été publié en 1990. Il affirmait que les luttes pour la libération nationale et sociale sont indissociables. Cependant, après que « les mouvements qui se sont préoccupés des difficultés réelles des pauvres en Europe » eurent échoué à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, les classes moyennes des nationalités opprimées dans l’Est de l’Europe ont eu la possibilité de devenir les élites dirigeantes des petits Etats récemment venus à l’existence. Alors que dans ces pays les peuples ont pu accéder à l’indépendance nationale sans passer par la révolution, la révolution sociale était inévitable dans les grands Etats en guerre. En Allemagne, en Autriche et en Hongrie, des républiques éphémères de conseils ouvriers ont été formées, mais le nationalisme a été le moteur de la contre-révolution et le terreau du fascisme.
Ses récents travaux ont été publiés dans La mondialisation, la démocratie et le terrorisme (2007, en allemand en 2009). S’agissant des questions de la domination des Etats-Unis, Hobsbawm pensait « que, comme tous les autres empires, celui-ci sera également un phénomène historiquement éphémère ». Il craignait seulement que la montée de l’Asie ne conduise à une grande guerre mondiale entre les Etats-Unis et la Chine (Der Stern, 20/2009). Même si beaucoup ne veulent pas imaginer cela, il était toujours convaincu que les forces motrices du capital ne s’intéressent pas à la préservation de la paix.
Il y a quelques années, Hans Magnus Enzensberger a fait remarquer que : « De tous les communistes qui ont survécu au 20ème siècle, Eric Hobsbawm est le plus obstiné, indépendant et savant, et – si je ne me trompe pas – de loin aussi le plus intelligent ».