Onze questions et réponses1
Le gouvernement grec a pu, non sans mal, éviter le Grexit – la sortie de la zone euro –, en se mettant d’accord avec les pays de la zone euro sur des négociations pour un troisième plan d’aide. L’indignation au sein de la gauche allemande et européenne à propos d’une conception très dure de l’assainissent néolibéral et la pression en forme de chantage sur le gouvernement de gauche de la Grèce sont fortes. Le Grexit n’aurait-il pas constitué le chemin le meilleur ?
1. Tsipras a-t-il capitulé ?
Le résultat du sommet européen est le résultat d’un chantage. Alexis Tsipras a souvent insisté sur ce point. Il poursuit la politique d’austérité néolibérale et met en cause la souveraineté du gouvernement et du parlement grecs. Tsipras formule clairement une prise de distance par rapport au contenu : « Je prends la responsabilité d’un texte auquel je ne crois pas mais que j’ai signé, pour éviter un désastre au pays ». Il s’agirait d’un « compromis douloureux, sur le plan politique comme sur le plan économique ». Par ailleurs, « nous avons été confrontés à un dilemme sous la menace de la force ». L’acceptation de l’accord repose sur la conviction que la solution alternative – le Grexit – serait plus grave et plus dévastateur que l’accord du 13 juillet.
2. Le résultat constitue-t-il un compromis ?
Selon la majorité de Syriza, accepter l’accord était nécessaire malgré toutes les critiques. Pour le ministre de l’Economie Stathakis, l’accord aurait écarté le danger d’un Grexit, prévoirait une adaptation plus douce des finances publiques et contiendrait un nouveau programme de prêts à long terme, pour 30 ans, à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui prendrait le relais des crédits à long terme du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne. Il s’agirait d’une restructuration de la dette grecque. Ce qui ouvrirait la perspective d’un allègement de la dette grecque, comme le FMI le demande depuis un certain temps. Bien que beaucoup de mesures du nouvel accord pourraient renforcer la récession, elles ne seraient en aucun cas comparables avec les Mémos 1 et 2, qui prévoyaient des économies budgétaires de 15% du PIB ainsi que des coupes dans les retraites et les salaires jusqu’à 30 ou 40%. Au lieu de cela, ce troisième Mémorandum prévoirait des excédents budgétaires primaires (hors remboursement de la dette) plus restreintes. La diminution du déficit se situerait autour de 1% du PIB par an2. La question de savoir si le danger d’un Grexit est dépassé reste tout de même entièrement ouverte.
Le chef du gouvernement est conscient du risque : « Le résultat est certainement difficile à mettre en œuvre, mais d’un autre côté la zone euro a été portée sans conteste à ses limites, s’agissant de sa capacité d’inertie et de sa cohésion. Les prochains six mois seront décisifs, mais le rapport de forces qui pourra être construit pendant cette période sera tout aussi critique. Aujourd’hui, l’avenir et la stratégie de la zone euro sont mises en question. Il existe plusieurs possibilités. Ceux qui ont déclaré « pas un euro de plus » n’ont au bout du compte pas seulement donné leur accord à un seul euro mais à 83 milliards sur trois ans, avec un accord supplémentaire pour une réduction de la dette, qui sera discutée en novembre. C’est la question-clé, qui décidera si la Grèce pourra parcourir un chemin conduisant le pays hors de la crise.3
3. Le Grexit n’aurait-il pas constitué une meilleure solution ?
Une partie de Syriza et de la gauche européenne pensent que la capitulation devant les créanciers internationaux a été une erreur. Le gouvernement n’aurait pas dû signer un nouveau Mémorandum et ne devrait pas accepter d’engagements ayant pour effet de mettre leur programme hors jeu. L’argumentation des partisans du Grexit est la suivante : « Athènes n’obtient pas de nouveaux crédits et met fin à tous ses paiements à l’étranger. Le pays est financièrement autonome et doit créer sa propre monnaie, car il n’obtient plus d’euros. Cela est réalisable, les dettes étrangères ne sont finalement plus remboursées et la Grèce aurait une excédent budgétaire primaire. La nouvelle monnaie serait fortement dévaluée. Les importations deviendraient plus chères, ce qui donne à la production nationale le coup de fouet nécessaire de façon urgente. La Grèce devient tout à coup bon marché, le capital retourne ainsi dans le pays. L’aide internationale, s’agissant par exemple des médicaments à importer, reste cependant nécessaire durant une période de transition. Quand la Grèce, au bout de deux à trois ans, se sera redressée, interviendrait un moratoire sur la dette avec une annulation partielle »4. La Grèce garderait ainsi le reste du patrimoine de l’État, en arrêtant les privatisations. La sortie de l’euro sauvegarderait la souveraineté parlementaire et démocratique.
Il faudrait pour cela un plan alternatif complet et coordonné, qui n’envisagerait pas seulement la (nouvelle) monnaie nationale mais aussi l’annulation de la plus grande partie de la dette de l’État. S’ajoutent à cela la nationalisation des banques, la taxation des hauts revenus et des grandes fortunes, le contrôle des grands médias, la diversification des sources d’énergie, des relations internationales multilatérales, des accords économiques au sein et en dehors de l’UE, le financement de plans de développement pour reconstruire les bases productives du pays et avant tout la fin de l’austérité et le rétablissement des droits sociaux et du travail, qui ont été abolies par les mémorandums. Tout cela se trouve aussi dans les déclarations relatives au programme de Syriza, qui préconisent de mener le combat au sein de la zone euro, mais qui disent aussi, devant le chantage de la poursuite des mémorandums, qu’il ne laisseront pas écraser (textuellement : exterminer) le peuple grec dans la zone euro.
Il existerait beaucoup d’études prédisant au bout de quelques mois une augmentation des exportations, une diminution des importations, une production plus forte dans le secteur primaire (matières premières, agriculture), un développement explosif du tourisme, apportant les liquidités nécessaires dans l’économie, d’importants investissements privés et publics ainsi que la diminution du chômage.
4. Le retour à la drachme serait-il une meilleure solution pour la Grèce ?
La sortie de la Grèce de l’euro se traduirait par un changement de la monnaie. L’euro fort serait conservé dans tous les autres pays. La drachme devrait être introduire rapidement pour limiter la fuite des capitaux. Le contrôle de la circulation du capital continuerait. Le changement de monnaie irait de pair avec une dévaluation massive. Les comptes courants et les liquidités existantes seraient convertis à un taux convenu d’avance.
Mais les marchés financiers auraient probablement peu confiance dans la nouvelle drachme. Les dettes fortement réévaluées ne pourraient pas être remboursées en drachmes. Le changement de monnaie se traduirait par de l’insolvabilité et l’arrêt du service de la dette étrangère. On peut penser que le « club de Paris » – une instance informelle où se retrouvent les États créanciers pour discuter des remises de dettes – interviendrait. Mais c’est le FMI qui aurait un rôle-clé. Les aides de ce côté sont conditionnées par la mise en œuvre réussie de programmes du FMI. Ce qui se traduirait par des réformes semblables à celles demandées dans les Mémorandums – la Grèce n’aurait pas fait un seul pas en avant par rapport à la situation actuelle, tout en étant un peu plus pauvre. Certes, de possibles négociations pourraient permettre d’aboutir à un haircut internationalement reconnu. L’accès au crédit et au marché financier serait très difficile, avec des taux d’intérêt élevés, pour les institutions officielles comme pour les entreprises privées.
La Grèce pourrait certes obtenir une restructuration de sa dette en sortant de la zone euro. Mais les 110 à 115 milliards d’euros que la banque centrale grecque a obtenus via les crédits d’urgence ELA restent entre les mains des banques grecques ou de particuliers. Si la Grèce sort de la zone euro, ces aides seront hors d’accès. En nationalisant les banques grecques sous-capitalisées, il faudra faire appel aux entreprises et épargnants (bail in). Croire que l’on pourra redresser tous les déséquilibres de la situation grecque par la nationalisation est une illusion.
5. Mais les exportations augmenteraient ?
Les produits et les services liés au tourisme coûteraient certes moins cher. Mais la Grèce ne peut pas vivre uniquement d’olives, de feta et du tourisme, même si le prix de ces biens diminue de 50%. Les exportations de l’économie grecque sont traditionnellement faibles. La Grèce n’est pas un pays exportateur classique comme par exemple l’Allemagne. En revanche, 75% de la conjoncture dépendent du pouvoir d’achat viennent du marché intérieur grec.
Les exportations ont seulement faiblement crû depuis l’adhésion de la Grèce à l’UE en 1981. Avec une part des exportations dans le PIB de 17%, la Grèce est à l’antépénultième place parmi les pays de l’UE.
On ne peut donc pas s’attendre à ce que la Grèce surmonte la crise à court terme par une augmentation des exportations. Même les réductions de salaires de 40% en moyenne durant les 5 dernières années n’ont pas eu le moindre effet dans ce domaine, même si cela aurait dû être le cas selon l’idéologie néolibérale. Les coûts de production ont diminué de près de 14% entre 2011 et 2014, les exportations ont en revanche reculé de 3%. Un développement rapide des exportations du fait de la baisse des prix des produits grecs grâce à une nouvelle drachme est peu probable. Sans une forte augmentation des investissements, il n’y aura pas de boom des exportations.
6. Et que se passera-t-il pour les importations ?
Le coût des importations serait selon les prévisions multiplié par deux. La Grèce importe 48% de son alimentation et 82% de son énergie. Cela concerne aussi les produits qui en Grèce même sont peu ou pas du tout produits, comme les machines, les automobiles, les nouvelles technologies de l’information, entre autres. La modernisation de l’industrie grecque, nécessaire et urgente, et avec elle la création de nouveaux emplois dans ce secteur, serait à peu près totalement impossible à financer. À cause de la demande solvable insuffisante, le renchérissement de ces produits conduirait à un recul dans le pays lui-même. Au lieu d’assainir la balance des paiements par les exportations, le prix plus élevé des importations creuserait encore plus le déficit. Avec le taux élevé des importations, c’est une hyperinflation (importée) qui menacerait, avec une nouvelle baisse des revenus réels, un affaiblissement de l’économie nationale et une augmentation du chômage.
7. …mais les dettes pourraient être annulées ?
Un Grexit ne diminuerait pas les dettes de la Grèce. Aucun créancier au monde n’acceptera de convertir les dettes grecques en drachmes, c’est-à-dire de les diviser par deux. C’est au contraire la dette qui doublerait : non plus 180% mais 360 % (du PIB). Les chances dans ce cas d’emprunter de l’argent sur les marchés financiers serait faibles, même à des taux prohibitifs.
Une réduction de la dette pourrait résoudre ce problème. Mais il sera difficile à la Grèce d’imposer seule un tel pas en avant. Mais même après cela, le pays continuerait à dépendre des capitaux étrangers pour construire les infrastructures et les moderniser. Les donateurs internationaux seraient par ailleurs très prudents dans leur comportement avec la Grèce. Il n’y aurait pas d’argent frais pour la reconstitution du stock de capital public et pour le renouvellement des capacités productives pendant une longue période.
L’endettement des entreprises de l’import-export serait encore plus dramatique pour le redressement économique. Il doublerait lui aussi en pourcentage. Ce qui mettrait à mal la crédibilité de ces entreprises dans leurs relations avec leurs clients et leurs fournisseurs. Le financement des investissements et de la livraison des marchandises seraient plus difficiles, voire impossibles. Qui voudrait faire des affaires avec des entreprises fortement endettées, que la faillite menace tous les jours ? Pour les entreprises qui, dans ces conditions, arriveraient à survivre, les taux d’intérêts réels reviendraient vite à 2 chiffres. Les assurances contre les fluctuations du change deviendraient plus chères.
C’est seulement sur la base d’une gestion à long terme de l’endettement qu’on pourrait gagner des marges de manœuvre pour la construction des infrastructures et le renforcement de l’économie avec de « l’argent frais ».
8. Mais la situation des individus serait meilleure sans les politiques de réduction des dépenses ?
Le « retour à la drachme » aurait des conséquences dévastatrices pour la population en Grèce. Non seulement les salaires et les pensions seraient une nouvelle fois réduits de façon drastique, mais l’épargne serait divisée par 2. Après des baisses de salaires de 40% et de 44% pour les retraites au cours des cinq dernières années, la question de pose : de quoi les gens vivront-ils alors ? L’effondrement du système des retraites et de la Sécurité sociale serait entre autres inévitable, comme l’exemple de l’Argentine l’a montré. Des programmes sociaux européens extensifs seraient nécessaires pour atténuer les conséquences humanitaires les plus dures. Les experts considèrent cette voie nettement plus coûteuse que, par exemple, une restructuration de la dette ou la dispense pour la Grèce de verser les intérêts. Sans compter que de tels programmes d’aide ne constituent pas un programme d’investissement pour un nouvel élan économique.
9. La Grèce serait-elle alors à l’abri des marchés financiers ?
Les devises faibles ont peu de chances de se défendre contre la spéculation des marchés financiers. Pour protéger une devise contre la dévaluation et les attaques spéculatives, il faut des réserves importantes de devises. La Grèce n’en dispose pas après des années de déficit de la balance des paiements. La Banque centrale grecque ne serait donc pas en mesure de se défendre contre des attaques spéculatives contre la nouvelle drachme.
Même des pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont eu du mal à se défendre des spéculations contre le D-mark et la livre au cours des années 1990, sans réussir cependant à éviter l’effondrement du système monétaire européen de l’époque. Aujourd’hui, après quarante ans de redistribution continue des richesses du bas vers le haut, la puissance des marchés financiers est nettement plus forte. Tous les jours, 13 milliards d’euros sont échangés à des fins spéculatives. Seul 1,5% de ces sommes sert à financer la production, les échanges ou la prestation de services réels. La Grèce serait soumise à la dictature des marchés financiers pour des années.
10. …mais la souveraineté de la Grèce serait sauvegardée ?
Il est vrai que la Grèce a été mise sous tutelle , elle n’est plus de facto un État indépendant. Des étrangers – particulièrement le gouvernement allemand – décideront de tout à l’avenir. La Grèce doit mener la bataille de la reconstruction avec une souveraineté limitée. Qu’en serait-il de la souveraineté de la Grèce à l’extérieur de la zone euro et de l’UE ? Beaucoup comptent sur l’argent russe ou chinois. Cela constituerait-il un progrès en matière de souveraineté ? Un Grexit signifierait la capitulation devant les marchés réels. Les forces du marché et des marchés financiers imposeraient au pays des restrictions budgétaires encore plus dures.
11. Le troisième Memorandum offre-t-il une chance quelconque ?
Alexis Tsipras : « Si quelques personnes pensent, au sein du gouvernement ou de l’opposition, que le combat de classe se développe de façon linéaire, qu’il peut être gagné par une seule élection et non par un combat permanent, il faut nous le dire et donner des exemples montrant comment cela fonctionne. Nous sommes devant l’expérience totalement nouvelle d’un gouvernement de la gauche radicale au sein d’une Europe néolibérale. Mais nous pouvons apprendre des expériences gouvernementales à gauche d’autres périodes et nous savons que gagner des élections ne veut pas dire que l’on accède du jour au lendemain aux leviers du pouvoir. Il faut transposer la victoire électorale sur le terrain des luttes sociales »5
C’est tout sauf une déclaration de capitulation. C’est l’annonce que la lutte continue après le recul du 13 juillet – pas seulement au gouvernement mais sur le terrain social. Les problèmes évidents du pays, dont fait partie aussi un appareil d’État encroûté, qui a été détourné pendant des décennies par les anciens partis de gouvernement pour servir leur clientèle, ou l’inégalité sociale crasse, qui touchait le pays déjà bien avant le début de la crise, devront être être résolus s en Grèce. Ce combat pour la rénovation du pays doit rester le projet central de la gauche grecque – une sortie de l’euro peut sembler radicale car elle exprime la protestation contre les détenteurs du pouvoir dans l’UE. Mais elle ne règle pas les problèmes de la population grecque.
La question des marges de manœuvre qui peuvent être conquises et élargies dans les conditions du troisième Mémorandum relève des combats politiques et des rapports de force aussi bien en Grèce même qu’au plan européen. La revitalisation de l’économie grecque dépend de façon décisive des possibilités de limiter les effets restrictifs du troisième Mémorandum et d’augmenter les investissements dans des structures modernes. L’enjeu de négociations à venir sera de savoir si le fonds « fiduciaire » prévu (Treuhandfonds6) conduira à la vente du patrimoine public ou deviendra – comme il est demandé – un « fonds pour les investissements publics », comparable aux Fonds d’État norvégien ou australien.
Syriza doit être soutenu dans cette confrontation pour l’élargissement des marges de manœuvre politiques et sociales. Cela doit être la tâche de la gauche allemande et européenne.
6Note du traducteur : Les auteurs utilisent le vocabulaire en usage pour les privatisations après la disparition de l’ancienne RDA.