Il m’est très difficile de prononcer des mots d’adieu formels car je connaissais Elisabeth – ou Liesl comme nous l’appelions en Autriche – depuis plus de 40 ans. Ensemble – elle, la jeune enseignante antifasciste active auprès de l’Association des enseignants démocrates, et moi, responsable de l’Union des Étudiants Communistes – nous avons vécu nos premières expériences dans la vie politique.
Lorsqu’Elisabeth a déménagé en France et même en étant élue au Comité National du PCF, ni les liens politiques avec son pays d’origine ni nos liens personnels ne se sont rompus.
Certains thèmes politique et moral nous accompagnent tout au long de notre vie. Pour des raisons tant politiques que personnelles, un thème central de la vie d’Elisabeth Gauthier était l’irruption de la confrontation avec le passé nazi en Autriche dans le contexte de la guerre froide et de l’anticommunisme. Avec l’affaire Waldheim cela est devenu une affaire européenne. Elisabeth était profondément indignée par l’indolence des représentants officiels autrichiens, et elle était tout autant surprise et ravie par les manifestations durant lesquelles des centaines de milliers d’Autrichiens et d’Autrichiennes ont protesté en 2000 contre la coalition gouvernementale « noir-bleu » rassemblant le Parti Conservateur autrichien et le FPÖ de Jörg Haider. Infatigable, elle rendait témoignage d’une « autre Autriche » dans son pays d’adoption, elle organisait des rencontres d’élèves et d’étudiants, parlait à des colloques et donnait des conférences.
Elisabeth était Française, Autrichienne, Européenne et citoyenne du monde : nous nous sommes revus lors du Forum social mondial de Porto Alegre dont elle a personnifié l’esprit de solidarité dans la pluralité comme peu d’autres Par la suite, elle a contribué de façon décisive au succès des Forums sociaux européens de Florence, Paris et Athènes grâce à la clarté de son point de vue et grâce à sa capacité à respecter les opinions divergentes et à en produire une synthèse.
C’est à la même occasion qu’elle m’a impliqué, alors que j’étais à l’époque éditeur d’un journal hebdomadaire de gauche, dans la création du réseau transform!.
Elisabeth Gauthier directrice d’Espaces Marx a également aidé, non pas dans une moindre mesure, à la création du Parti de la gauche européenne. Toutefois sa contribution européenne la plus marquante a été la participation décisive à la formation de transform!. Elle a notamment été membre du conseil d’administration de ce réseau jusqu’à la fin de sa vie.
Auteure, elle a particulièrement abordé la montée alarmante du populisme de droite en Europe à laquelle elle a consacré un livre rédigé avec Joachim Bischoff et Bernhard Müller. La conclusion à laquelle elle est arrivée était peu rassurante. Dans les tendances de droite, elle a reconnu les défaillances de la gauche politique dans sa réponse aux grandes contradictions sociales dans les sociétés capitalistes développées.
Elle a salué la victoire de Syriza avec un grand enthousiasme et restait fidèle à la solidarité avec la Gauche grecque malgré toutes les difficultés et interrogations.
Juste au dernier moment elle a concentré ses efforts à contribuer à la rénovation de la stratégie de la Gauche qui était le thème au cœur du grand article qu’elle a achevé en Allemand et en Français malgré la dégradation de son état de santé; et avec lequel elle nous laisse un testament politique.
J’ai eu le privilège d’être en contact avec Elisabeth jusqu’aux derniers jours de sa vie. Au téléphone, nous avons échangé des discussions politiques et personnelles sérieuses, mais parfois aussi légères et joyeuses. Bien qu’elle ait lutté jusqu’à la fin contre la maladie, son adieu était long et réfléchi.
Sa disparition nous laisse plus seuls et nous appauvrit. Nous garderons en mémoire son œuvre, mais aussi son souvenir.
Liebe Elisabeth, als Kollegin, als Genossin und als Freundin wirst Du uns immer in Erinnerung bleiben.