Le 29 septembre se dérouleront de nouvelles élections législatives en Autriche, les révélations de la vidéo d’Ibiza en mai dernier ayant sonné le glas de la coalition entre conservateurs et extrême droite, – du moins à titre provisoire. Compte rendu de Michael Graber sur la situation politique autrichienne.
Été 2017 : quelques mois en amont des élections législatives d’octobre, le futur vice-chancelier du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) Heinz-Christian Strache et son fidèle assistant Johann Gudenus, lui-même alors maire adjoint de Vienne et président du groupe FPÖ à la chambre des députés, se rendent à Ibiza pour rencontrer une supposée nièce d’oligarque russe. Strache et Gudenus proposent alors d’offrir la moitié de l’Autriche à l’investisseuse en échange d’une aide à l’entrée du FPÖ au gouvernement grâce à l’achat du plus grand quotidien autrichien, le Kronen Zeitung, – renvoi de journalistes indésirables et dons dissimulés au FPÖ inclus.
« Écoutez, si elle [la prétendue nièce de l’oligarque] prend réellement le contrôle du journal avant […] Si LE média, deux ou trois semaines avant les élections, CE média d’un coup nous donne le coup de pouce […] alors ce n’est pas 27 mais 34 [pour cent] que nous faisons. […] Dès qu’elle prend le contrôle du Kronen Zeitung, dès que cela se produit, nous devons dire les choses très ouvertement […] et dire : ces trois, quatre personnes, nous devons les favoriser. Ces trois, quatre personnes, il faut les enfoncer. »
Au cours de la conversation qui a duré des heures, Strache fait cette déclaration et d’autres encore, – tandis qu’il est secrètement filmé. La nièce de l’oligarque et son compagnon servent d’appât, tentant de mettre à jour le comportement réel de ces figures politiques de premier plan.
Un gouvernement de courte durée
Même sans mise en œuvre de cet accord, les résultats des élections de 2017 ont permis la formation d’un gouvernement de droite par le Parti populaire autrichien (ÖVP, qui glissait plus à droite), ensemble avec le FPÖ. Le FPÖ a obtenu non seulement le poste de vice-chancelier, mais également, entre autres, tous les secteurs en lien à la politique de sécurité (ministères de la Défense et de l’Intérieur). Le nouveau gouvernement a satisfait immédiatement certaines revendications anciennes des organisations patronales, comme la possibilité d’introduire la journée de travail de 12 heures ainsi que la semaine de travail de 60 heures dans toutes les branches. Le FPÖ, pendant ce temps, a profité de sa participation gouvernementale pour renforcer ses positions dans l’appareil d’État, – notamment aux dépens de l’ÖVP conservateur.
Le FPÖ d’extrême droite en difficulté
Le gouvernement a éclaté en mai de cette année, dès le lendemain de la publication de la vidéo par le magazine Der Spiegel et le quotidien Die Süddeutsche Zeitung en Allemagne. Le tube festif We’re Going to Ibiza!, vieux de 20 ans, a retrouvé le sommet du hit-parade autrichien, devenant l’hymne des opposant·e·s au gouvernement.
Même pour les conservateurs, il devenait impossible de garder le FPÖ au gouvernement après des révélations aussi tonitruantes sur la direction du parti, quand bien même le chancelier Sebastian Kurz, 32 ans, avait fermé les yeux jusqu’à présent sur tous les propos d’extrême droite tenus par son partenaire de coalition.
Quelques jours plus tard au Parlement, le gouvernement Kurz s’est vu opposer un vote de censure soutenu non seulement par la quasi-totalité des partis d’opposition mais aussi par le FPÖ. Seuls les néolibéraux du parti NEOS ainsi que les conservateurs au pouvoir ont voté contre. Le président fédéral a alors constitué un gouvernement de transition composé de juges et de hauts fonctionnaires. La présidente de la Cour Constitutionnelle Brigitte Bierlein a été nommée chancelière fédérale, devenant par la même occasion la première femme à occuper ce poste.
Aux élections européennes qui ont suivi peu après, le FPÖ est tombé à moins de 20 % pour ensuite se stabiliser rapidement à ce chiffre dans les sondages. En dépit de l’ampleur du scandale, de nombreux partisans du FPÖ semblent avoir cru à l’allégation de l’ancien vice-chancelier pour qui il s’agissait d’une simple « histoire de beuverie » (Strache dans son discours de démission le 18 mai), et ils sont convaincus que la propension du FPÖ à la corruption ne diffère pas de celle des autres partis. Malgré l’émergence d’autres scandales en son sein et autour, le FPÖ talonne le Parti social-démocrate (SPÖ) par seulement deux points d’écart, rivalisant avec lui pour la deuxième place aux élections de dimanche.
Les conservateurs de l’ÖVP en position confortable
Kurz, le plus jeune ex-chancelier de la Deuxième République, continue de conserver avec son parti une large avance sur le SPÖ ainsi que sur le FPÖ. Ce dernier, mené par son nouveau président de parti, espère être appelé à gouverner de nouveau aux côtés de l’ÖVP. L’ÖVP a toutefois érigé quelques garde-fous. Ainsi, pour démontrer de manière convaincante une prétendue tolérance zéro à l’égard de l’extrémisme de droite, les conservateurs n’accepteront pas de reprendre au gouvernement l’ancien ministre de l’Intérieur FPÖ Herbert Kickl, connu pour ses slogans électoraux particulièrement racistes et écœurants. Dans la foulée de dix-sept ans de gestion du ministère de l’Intérieur par les conservateurs, Kickl est connu notamment pour avoir commencé à faire entrer massivement des partisans du FPÖ dans l’administration de son ministère pendant son mandat.
En vue de maximiser les votes en leur faveur, les conservateurs de l’ÖVP envoient également des signaux aux électrices et aux électeurs du SPÖ et des Verts. Par exemple, l’ÖVP a modifié sa position vis-à-vis des demandeurs d’asile inscrits à des programmes de formation. Les conservateurs déclarent maintenant qu’il convient d’autoriser ces derniers à terminer leur formation même dans le cas où leur permis de séjour n’est pas renouvelé. À destination des locataires (plus de la moitié de la population autrichienne), l’ÖVP annonce que les frais d’agence devraient être pris en charge par les propriétaires lors des transactions, – une vieille demande des associations de locataires et du Parti communiste (KPÖ).
Les Verts, qui n’ont pas dépassé la barre des 4 % aux élections de 2017 et sont donc sortis du Parlement depuis, ont obtenu 14 % aux élections européennes et peuvent s’attendre à retrouver des sièges. En raison de la faiblesse des sociaux-démocrates, qui participeront aux élections sous la houlette d’une nouvelle présidente de parti, un gouvernement rouge-vert est dans tous les cas difficilement envisageable. L’ÖVP se retrouve ainsi en position confortable pour choisir entre différentes variantes de coalition, alors qu’il ne sera guère possible à l’inverse de gouverner sans lui.
Le parti JETZT issu d’une scission des Verts (représenté au Parlement depuis 2017 grâce à un score de 4,4 %) ne dépassera probablement pas la barre des 4 %. Le deuxième plus petit parti représenté au Parlement, le NEOS, qui défend une ligne économique néolibérale extrême, espère, lui, participer à un gouvernement ÖVP.
Une alliance électorale de gauche
Aux côtés du (très petit) parti de gauche WANDEL (« Transition »), proche de DiEM25 créé par Yanis Varoufakis et qui coopère également avec le Parti de la gauche européenne (PGE), le KPÖ présente des candidats. Le Parti communiste autrichien, qui ne siège plus au Parlement depuis 1959, a œuvré en faveur de vastes alliances électorales dans le but d’accroître le poids de la gauche autrichienne dans les urnes : la barre de 4 % des suffrages à atteindre pour entrer au Parlement étant relativement élevée, de nombreux électeurs de gauche, par peur d’un bulletin inutile, votent pour ce qu’ils considèrent comme le « moindre mal », donnant leurs voix à des partis qui ne sont en rien de gauche et ne les ont pas méritées. Cette fois-ci, cependant, il a été possible de construire la plateforme électorale « Alternative Listen, KPÖplus, Linke und Unabhängige » (gauche et indépendants), ensemble avec l’Alternative Liste Innsbruck (liste d’électeurs représenté au parlement municipal d’Innsbruck), l’organisation turco-kurde DIDF (Fédération des associations démocratiques de travailleurs) et des indépendants de gauche.
Sous le slogan Wir können (« Nous pouvons »), l’alliance électorale entend concentrer la lutte sur la cherté du logement, la corruption en politique, l’élargissement du fossé entre riches et pauvres, le racisme et les politiques anti-environnementales des grands groupes.
Où l’Autriche va se retrouver quatre mois après Ibiza, on va très bientôt le savoir.