Sur fond de récession de l’industrie manufacturière allemande et en l’absence de candidature d’Angela Merkel à sa propre réélection, les trois candidat·e·s à la chancellerie voient leurs partis plus que jamais au coude-à-coude dans les sondages. DIE LINKE pourrait accéder au pouvoir en coalition avec les sociaux-démocrates et les verts.
Ces élections parlementaires fédérales promettent une compétition à suspense dans laquelle l’électorat pourra faire son choix parmi 47 partis. Il est peu probable que les petits partis franchissent la barre des 5 % nécessaires pour entrer au Bundestag, contrairement aux sept partis contre lesquels ils se présentent et qui, eux, y ont déjà des député·e·s — CDU, CSU (tous deux conservateurs), SPD (social-démocrate), AfD (extrême droite), FDP (libéral), DIE LINKE (gauche) et les Verts. Un parti qui pourrait créer la surprise est celui des Freie Wähler (Électeurs Libres), qui est déjà représenté dans plusieurs parlements régionaux ainsi qu’au Parlement européen (en tant que membre du groupe Renew Europe).
L’électorat
Ce sont 60,4 millions de citoyennes et citoyens de plus de 18 ans qui pourront déposer un bulletin dans l’urne lors des élections au Bundestag du 26 septembre. Du fait de la composition démographique du pays, les anciennes générations pèsent davantage en termes de vote. Cet avantage est conforté encore par la tendance à l’abstention dans l’électorat le plus jeune.
Évolutions économiques et sociales et mutations culturelles
L’économie manufacturière allemande est en récession. Cela n’est pas là seulement la conséquence de la pandémie de Covid-19 avec les transformations brutales qu’elle a provoquées dans le commerce mondial, parmi lesquelles l’interruption des chaînes de production. L’industrie allemande se débat dans une crise structurelle de long terme. Les prévisions de croissance, ajustées à la baisse, s’élèvent à 2-3 % seulement. Le nouveau gouvernement allemand devra se confronter à la lourde tâche de restructurer l’industrie du pays dans un contexte de mutations en profondeur de l’économie mondiale et de transformation écologique de la société.
Après avoir été chancelière pendant seize ans, Angela Merkel laisse derrière elle un héritage ambivalent en termes de politique sociale. D’un côté, elle gouverne sur une population au niveau de vie très confortable. Cependant, cette population a très majoritairement perdu en pouvoir et se perçoit comme dépendante, sur fond de services publics et de mécanismes de protection sociale qui ont été formatés idéologiquement et politiquement. Mouvements sociaux, crise climatique, stratégie déficiente de prévention des désastres, écoles en souffrance, services administratifs et de santé débordés sont perçus comme autant de risques affectant la prospérité apparemment stable, et le blâme en est porté sur « l’État », les « politiques » et les « partis ». La situation actuelle en Afghanistan ajoute encore la question de savoir qui est aujourd’hui en capacité de gérer des crises de politique étrangère. D’un autre côté, la société se confronte à des tensions culturelles fortes. Des camps opposés et hostiles se sont formés sur de nombreux sujets, que ce soit à propos des vaccins, du Covid-19 et de la science, ou encore autour des fake news, de la migration, ou des droits humains et de la démocratie. De nouvelles formes d’extrémisme orientent et façonnent les débats publics.
Qu’y a-t-il de neuf cette fois-ci ?
Deux éléments diffèrent dans l’élection au Bundestag de cette année. Tout d’abord, la chancelière actuelle, Angela Merkel, ne se représente pas. Personne n’est capable de faire un bilan critique de son mandat mais tout le monde sera comparé à elle. Et la chancelière Merkel est actuellement extrêmement populaire. En tant que vice-chancelier en poste, le candidat SPD Olaf Scholz se présente presque comme le candidat « naturel » de la continuité. Il espère par cette tactique regagner les « sociaux-démocrates de Merkel », c’est-à-dire l’électorat SPD habituel qui ne votait pour la CDU qu’en raison de Merkel.
Annalena Baerbock (Verts) et Armin Laschet (CDU) ne sont pas en bonne posture. Les conséquences sont d’autant plus dramatiques que, en des temps éminemment complexes et des situations qui nécessitent davantage de direction et d’initiative, les figures de premier plan prennent davantage d’importance.
Deuxièmement, cette élection ajoute une nouvelle couche de complexité. Les partis des trois candidat·e·s à la chancellerie sont plus que jamais au coude-à-coude dans les sondages. Il est impossible d’anticiper qui de la CDU, du SPD ou des Verts arrivera en tête le jour de l’élection. De même, l’incertitude règne quant à la faisabilité des différentes options de coalition envisagées. À l’exception de l’AfD, tous les partis établis sont des partenaires de coalition potentiels. Cela signifie, premièrement, que les électrices et électeurs ne savent pas à quel·le dirigeant·e leur vote va servir au final. Et cela signifie aussi que les promesses et déclarations électorales faites par les candidat·e·s pendant la campagne passeront à l’arrière-plan lorsque viendra l’heure des pourparlers pour élaborer les accords de coalition après l’élection.
La façon dont les pouvoirs exécutifs ont été mis en place au gouvernement fédéral et dans les Länder, avec association de tous les partis dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, a contribué à accroître le mécontentement envers le système partisan, lequel peine à faire apparaître des différences tranchées entre partis.
Une bataille s’est ensuivie sur la meilleure façon d’exprimer la dynamique politique actuelle. « Nouveau » est le mot fréquemment employé par la CDU en campagne, « maintenant » apparaît sur les affiches de DIE LINKE, nos problèmes n’ont « jamais » été aussi grands selon la FDP, et les Verts se disent « prêt·e·s ». Ou bien il s’agit là d’un appel répété au changement, ou bien domine la croyance que le changement s’est produit déjà et que le temps est venu maintenant pour l’action.
Résultats de l’élection de 2017 au Bundestag
CDU/CSU : Union chrétienne-démocrate ; SPD : Parti social-démocrate d’Allemagne ; LINKE : La gauche ; FDP : Parti démocratique libre ; AfD : Alternative pour l’Allemagne
Source : Tagesschau.de ; modification libre
Principaux thèmes et prises de position des partis
Transformation structurelle de l’économie, transformation écologique et modernisation de l’État providence : ce sont là les trois principaux défis politiques auxquels doivent répondre les partis en lice dans cette élection — et ils doivent le faire dans une période atypique marquée par l’instabilité et la crise.
Quels thèmes centraux les partis ont-ils mis en avant dans leurs programmes ?[1]
La CDU/CSU se perçoit comme le seul parti populaire encore existant. Son programme s’appuie en majeure partie sur celui de 2017. « Stabilité » est le slogan pour l’Allemagne et pour la politique de la CDU.
Au sortir d’interventions majeures du pouvoir central dans tous les domaines de la vie sociale pour lutter contre la pandémie, la CDU souhaite ramener l’État à un niveau tolérable, c’est-à-dire à un niveau jugé acceptable par la base centriste.
Une grande attention est portée aux enjeux de la technologie et des infrastructures. Un appel est lancé pour la promotion de l’innovation à grande échelle. Cela doit se combiner avec une réduction de la bureaucratie. Sans surprise, les enjeux de maintien de l’ordre figurent en bonne position dans le programme. Les problématiques de l’État providence sont vitales.
Les positions activement pro-européennes et de politique mondiale apparaissent notables, par exemple une plus grande intégration dans l’UE ou encore le désir de jouer un rôle clé sur la scène internationale. Le climat et l’environnement en revanche sont relayés à l’arrière-plan dans les propositions.
Une fois de plus, le SPD insiste sur la nécessité d’investissements dans l’État providence : offre publique de soins, amélioration de la protection sociale des sans-emplois, des retraites, des allocations familiales. Le SPD se pose en parti des travailleur·euse·s, exigeant des « emplois de qualité et sécurisés ».
« Respect » est le mot utilisé par le SPD pour réclamer plus d’égalité en matière de revenus et de richesses, de protection des minorités, d’égalité des sexes et de partage de la facture provoquée par le changement climatique. Le développement durable est un autre thème central du programme.
De manière générale, le SPD place la réglementation des marchés et l’investissement dans l’État providence en tête de ses priorités. L’inclusion de thématiques telles que l’égalité et le respect fait que ce programme se situe plus à gauche que celui de 2017.
Dans son programme, l’AFD se focalise sur des « valeurs traditionnelles » conservatrices, en particulier la famille. En matière de déréglementation, le parti se prononce encore plus en faveur du marché libre que le FDP. Une politique anti-UE sous-tend également le programme de l’AFD, qui fait la promotion du principe « Allemagne d’abord », du nationalisme et du patriotisme. L’AfD rejette les interventions publiques visant à contrôler la pandémie au prix des libertés civiles. « Libertés civiles » est devenu leur cri de guerre, y compris à l’encontre des médias publics et du « politiquement correct », etc., qui sont jugés « infantilisants ». Un programme incontestablement situé à droite.
Le FDP se présente comme un parti progressiste libéral qui donne la priorité à l’égalité des chances, aux libertés civiles et aux droits humains, au renforcement de la démocratie libérale. Par ailleurs, le parti adhère en profondeur à la liberté de marché, à la déréglementation et à l’objectif de libérer l’économie de marché de la bureaucratie et des réglementations gouvernementales.
La digitalisation est un thème central. Le parti soutient avec enthousiasme le développement technologique et insiste sur la nécessité de déployer les infrastructures en conséquence. En rupture avec ses programmes antérieurs, le parti libéral en appelle cette fois-ci lui aussi à investir dans l’État providence.
Les Verts conservent leur approche essentiellement construite sur des valeurs. Égalité et justice, en association avec climat et développement durable, ont la priorité.
Leur programme est clairement aussi davantage « pro-État ». Plus de gouvernement au sens d’une extension de l’État providence, ce qui signifie mettre l’enjeu des services publics au premier plan, et notamment financer massivement le secteur public des soins. Le marché du logement devrait être réglementé beaucoup plus sévèrement, et la qualité de l’éducation doit être améliorée. Toutefois, pour les Verts, plus d’État passe aussi par le renforcement d’institutions telles que la police et l’armée, et également par plus de réglementation, par exemple du secteur financier. Les individus les plus aisés et les grandes entreprises les plus riches devraient payer plus d’impôts ; un impôt sur la fortune est aussi en débat. Sont prévus encore une augmentation des investissements publics dans les technologies et la recherche « vertes » ainsi que des mesures sociales pour atténuer l’impact du changement. L’Allemagne devrait avoir une politique active d’immigration ainsi qu’une politique étrangère plus forte en matière de mesures de protection du climat et de droits humains.
Traditionnellement, DIE LINKE se concentre sur la question de la justice sociale, autrement dit la redistribution sociale dans tous les domaines de la société, ainsi que sur une approche pacifiste en politique étrangère.
La redistribution est l’outil politique privilégié : cela passe par la distribution primaire (augmentation des salaires, fin de la politique de bas salaires), les revenus de transferts (augmentation des retraites, éligibilité à la retraite à partir d’au moins 65 ans, abondement des retraites basses) et les garanties sociales contre les risques.
La sécurité sociale sera élargie, les services publics seront améliorés (la vie, les soins, la santé, l’éducation, les transports publics locaux). Le financement passera par une politique fiscale qui grèvera moins les bas et moyens salaires et davantage les individus disposant de salaires élevés ou d’un patrimoine important.
Un autre enjeu clé est celui des « transitions justes » en matière de climat et d’environnement. Ici aussi, la redistribution sociale est essentielle.
Le programme de DIE LINKE plébiscite la solidarité en tant que valeur fondamentale, et promeut une politique radicale, progressiste et libertaire contre les discriminations et le racisme ainsi qu’une politique concernant les réfugié·e·s qui reflète ces valeurs.
DIE LINKE devrait retourner au Parlement à la faveur de cette élection. Leur seul moyen d’accès au pouvoir serait dans le cadre d’une coalition avec le SPD et les Verts. Aucun parti ne se montre favorable à un tel partenariat, mais aucun ne l’exclut non plus. La participation au Bundestag est vitale pour le développement du parti. Son programme politique a dix ans déjà, et, depuis, le parti a vu affluer de nouveaux membres qui constituent aujourd’hui 50 % de sa base. DIE LINKE est d’évidence un parti pour le futur.
NOTES
- Établi à partir de l’analyse réalisée par le Centre berlinois en sciences sociales (WZB)