Des poursuites judiciaires prennent pour cible depuis quatre ans les responsables éditoriaux du magazine Brzask, de la newsletter du Parti communiste polonais et du site web de ce parti. Le parquet accuse les rédacteurs de « promouvoir publiquement un système d’État totalitaire ». Cependant, le déroulement du procès indique que le problème porte essentiellement sur la publication dans
Des poursuites judiciaires prennent pour cible depuis quatre ans les responsables éditoriaux du magazine Brzask, de la newsletter du Parti communiste polonais et du site web de ce parti. Le parquet accuse les rédacteurs de « promouvoir publiquement un système d’État totalitaire ». Cependant, le déroulement du procès indique que le problème porte essentiellement sur la publication dans les pages de Brzask d’une certaine vision de l’histoire considérée comme fausse par les procureurs, également sur la légitimité des opinions politiques des accusés.
C’est du moins ostensiblement l’image du procès qui ressort quand on examine ce qui transparaît du déroulement de l’audience du 3 mars 2020 grâce aux éléments transmis par les accusés. La plupart des questions posées par le procureur Jakub Jagoda ont porté sur divers faits d’histoire, entraînant ce qui semble avoir été une discussion historique et idéologique en salle d’audience. Pour citer quelques-unes des questions du procureur adressées à l’accusé Marcin Adam :
- « Monsieur Adam, à votre avis, les systèmes politiques qui prévalaient dans l’Union des Républiques socialistes soviétiques sous le règne de Vladimir Lénine, Joseph Staline, et en République populaire de Chine pendant la période Mao Zedong, ces systèmes étaient-ils des régimes totalitaires ? »
- « Selon vous, les décisions politiques prises par Vladimir Lénine, Joseph Staline, Félix Dzerjinski et Mao Zedong sont-elles la cause directe du génocide et de la famine que ces pays ont connu ? En bref, ces individus étaient-ils directement responsables des crimes de génocide commis dans l’Union des Républiques socialistes soviétiques et en République populaire de Chine ? »
- « Avez-vous déjà entendu parler du concept des "Grandes Purges" et admettez-vous que le responsable en était Joseph Staline ? »
- « Où estimez-vous que le système politique soit meilleur : dans l’Union des Républiques socialistes soviétiques ou dans le système démocratique actuel de la Pologne ? Lequel est le plus démocratique et le plus favorable aux citoyens ? »[1]
Les rédacteurs des médias communistes ont été inculpés au moyen du fameux article 256, paragraphe 1, du Code pénal :
« Quiconque promeut publiquement un système d’État fasciste ou tout autre système totalitaire, ou quiconque engendre de la haine sur la base de différences nationales, ethniques, raciales ou religieuses, ou bien en raison de l’athéisme de quelqu’un, est passible d’une amende, d’une peine de restriction de liberté ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans. »
Chacun des accusés a été inculpé
« de faire partie de la rédaction du magazine Brzask, dans les pages duquel on trouve publication d’un contenu faisant directement référence à l’idée d’un système étatique communiste ainsi qu’au marxisme et au léninisme, et qui est ensuite republié en ligne sur le site www.kompol.org, ce qui, au vu de l’expérience de l’histoire, revient à nier les valeurs démocratiques ».
Cependant, l’acte d’accusation ne comportait aucune allégation précise et, en guise de preuve, le parquet a fourni environ un millier de pages photocopiées de tous les numéros de Brzask parus entre novembre 2008 et août 2014, ainsi qu’une quantité importante du contenu du site officiel du Parti communiste polonais durant la même période.
Des accusations plus précises n’apparaissent que… dans une décision rendue en juin 2017 par le tribunal de district, qui, suite à l’acquittement par le premier tribunal, ordonnait au tribunal de district de Dąbrowa Górnicza de réexaminer l’affaire. Le tribunal régional endossa alors le rôle de procureur, versant au dossier une sélection de quelques dizaines de publications au titre de preuves.
La faiblesse des arguments de l’accusation est montrée par le fait que les enquêteurs n’ont pas même réussi à convaincre les anticommunistes pourtant assoiffés de sang de l’Institut national de la mémoire quant à la culpabilité de l’équipe de Brzask. Avant de renvoyer l’affaire devant les tribunaux, le parquet avait requis en effet l’avis de l’Institut national de la mémoire. Dans sa réponse, Adam Dziurok a déclaré au nom de son institution que « la façon dont le Parti communiste de Pologne proclame et promeut publiquement les valeurs communistes est a minima susceptible de controverse, quand bien même il ne fait pas ouvertement référence aux méthodes et pratiques totalitaires ».[2] Les arguments avancés par les procureurs n’ont pu être étoffés que grâce à un expert nommé par le parquet — le Dr Rafał Łętocha, politologue et expert religieux de l’Université Jagellonne, par ailleurs lié aux cercles d’extrême droite. Łętocha est connu pour écrire dans des magazines de l’ultradroite tels que Glaucopis, Polityka Narodowa (National Politics), Fronda, Templum Novum et Pro Fide, Rege et Lege. Il n’a pas caché qu’il s’identifiait au parti du Mouvement national. Dans une enquête menée en 2010 par un blogueur du site web Salon24, il a fait part de son admiration pour, entre autres, des personnalités historiques telles que Roman Dmowski, Wojciech Wasiutyński, Stanisław Piasecki, Jan Mosdorf ou encore Adam Doboszyński, ajoutant : « Toute la génération des NSZ [Narodowe Siły Zbrojne / Forces armées nationales, organisation clandestine de droite polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale] serait aussi à prendre en compte, car leur attitude héroïque, combattant sur deux fronts jusqu’au bout, parle à l’imagination. »
Une attitude idéologique aussi tranchée soulève nécessairement des doutes quant à l’impartialité de l’expert.[3] Dans son rapport d’expertise, Rafał Łętocha assène d’emblée aux communistes de gros coups de massue, en s’appuyant sur ses vues personnelles : «Il faut présumer qu’ils envisagent le recours à des mesures de nature révolutionnaire pour prendre le pouvoir. » Et il considère arbitrairement que le rejet de l’accusation de totalitarisme par les accusés n’est pas crédible :
« Les déclarations indiquant une position hostile au totalitarisme (IDs. 104/15, vol. 1, pp.118, 130) doivent être considérées quant à elles comme des tours de passe-passe verbaux ou des mensonges, ou sinon du moins comme de la casuistique (paroles d’évitement), car les militants du Parti communiste polonais ne reconnaissent tout simplement pas le système communiste comme totalitaire, et pour eux les totalitarismes par définition se résument au fascisme et au nazisme, voire au capitalisme. »
Les communistes sont coupables même de leurs opinions en matière de cinéma ou de littérature :
« Dans les pages de Brzask, le film Katyn réalisé par Andrzej Wajda est appelé ”un chiffon répulsif, plein de propagande hystérique et mensongère” et présentant des données sur le massacre de Katyn falsifiées par les nazis (IDs 104/15 vol. V, p. 794). D’un autre côté, le livre Inny świat (Un autre monde) de Gustaw Herling-Grudziński est qualifié de ”munition aux mains des impérialistes, ne servant qu’à des fins de propagande ciblée, par ailleurs dépourvu de toute valeur littéraire”. »(IDs. 104/15 vol. V, p. 794)[4]
Dans sa synthèse, Rafał Łętocha produit des allégations à propos principalement d’une vision de l’histoire que les autorités de la troisième République de Pologne se doivent de considérer comme indésirable. Le fait que les accusés s’écartent de la ligne officielle de la politique de mémoire menée par le pays est jugé répréhensible, bien que — comme il l’admet lui-même — il ne trouve dans les pages des médias analysés « aucun appel direct à recourir à des méthodes totalitaires » :
« Il ne fait aucun doute pour moi que, tant dans les documents que dans les publications du Parti communiste de Pologne, et plus encore dans ceux de la Jeunesse communiste de Pologne, nous rencontrons une invitation aux totalitarismes communistes et à la promotion des méthodes totalitaires et des pratiques communistes. Parce que, même si nous n’y trouvons pas de soutien direct aux méthodes totalitaires et que nous avons affaire à l’affirmation d’une préférence démocratique, il existe sans aucun doute un soutien ouvert aux pays dans lesquels diverses formes de totalitarisme ont fonctionné ou fonctionnent toujours, malgré le déni formel opposé par les personnes associées au Parti communiste de Pologne ou par la jeunesse communiste de Pologne, — et ce type de choses néanmoins s’est passé ou se passe dans ces cercles. Caractéristiques également sont le grand respect et les hommages accordés à des personnes responsables de la création de régimes totalitaires dans divers pays ou de l’appareil de terreur associé, tels que : Vladimir Lénine, Joseph Staline, Félix Derjinski, Lavrenti Beria, Kim Il-sung, Kim Jong-il, Mao Zedong, Enver Hoxha, Bolesław Bierut et consorts. Il convient aussi de prêter attention au fait qu’ils nient ou rejettent toute critique des États communistes totalitaires, et acceptent de manière irréfléchie une version des événements et de l’histoire telle qu’elle est donnée comme seule véridique par l’appareil de propagande de ces États. »[5]
Pour parachever cette atmosphère de terreur, Łętocha formule également des allégations très infondées d’ordre politique : « Diffusion de slogans menaçant l’indépendance de la République de Pologne : "À bas la Troisième République. Vive la République socialiste soviétique de Pologne" ». Cependant, il n’apporte aucune preuve que l’hypothétique République socialiste soviétique de Pologne serait, dans l’esprit de l’auteur de ce slogan, un pays dépendant. L’expert s’indigne aussi du fait que le site Internet du Parti communiste polonais « demande ni plus ni moins la suppression de la propriété privée concernant notamment : les outils de production, les matières premières et les ressources minières, l’immobilier, les terres et les capitaux ». Même la référence des communistes aux valeurs démocratiques ne réussit pas à ébranler son avis. Il sait que ce n’est là qu’un mensonge communiste.
« Bien sûr, les militants et les idéologues du Parti communiste de Pologne et de la jeunesse communiste polonaise aiment s’amuser avec des mots tels que démocratie et liberté car, comme Benjamin Constant l’a rappelé, ceux-ci sont malheureusement corvéables à merci », note-t-il.[6]
Il est caractéristique que Łętocha, lorsqu’il cite des articles séditieux spécifiques, n’en indique pas nommément les auteurs. Nous ne savons donc pas s’il s’agit de textes écrits par l’un des quatre accusés. Ce qui induit qu’il valide le principe de la responsabilité collective. Il convient également de prêter attention au manque de rigueur de ce docteur qui, dans son expertise, s’entête à désigner le site web du Parti communiste polonais comme étant celui de l’organisation polonaise de la jeunesse communiste.[7]
L’un des accusés, Marcin Adam, estime que le procès des communistes, qui dure depuis des années, est un SLAPP, terme qui vient du système judiciaire anglo-saxon, — c’est-à-dire une poursuite stratégique visant à décourager la mobilisation publique, ou « poursuite-bâïllon ».
« Un SLAPP est un procès conçu pour censurer, intimider et faire taire les critiques en leur faisant payer le coût de leur défense juridique jusqu’à ce qu’ils abandonnent toute critique ou opposition. De tels procès ont été jugés illégaux dans de nombreux pays car ils entravent la liberté d’expression. Dans un SLAPP typique, le demandeur ne s’attend généralement pas à gagner le procès. Les objectifs du plaignant sont atteints si l’accusé cède à la peur, à l’intimidation, à l’augmentation des frais de justice ou simplement à l’épuisement, abandonnant alors les critiques », précise Wikipédia (article anglais).
Marcin Adam souligne qu’en Occident, de telles poursuites sont généralement engagées par des entreprises à l’encontre d’individus ou d’ONG jugés incommodants, alors qu’en Pologne, des autorités étatiques ont elle-mêmes agi en justice. Il ajoute que ce type de procès est extrêmement lourd pour l’accusé en raison des coûts, du temps perdu, voire des difficultés à trouver un emploi qui peuvent s’ensuivre.
« Ce n’est pas un procès pour crime. Nous sommes jugés pour nos opinions, parce que c’est de cela qu’il s’agit durant les débats du procès. Cela a toutes les caractéristiques d’un procès en hérésie. Une hérésie générale, pas un acte hérétique spécifique. Aucune publication spécifique qui enfreindrait la loi n’est citée. Ce qui est cité est une preuve générale et vaste qui prend la forme de toute une série de numéros de Brzask et du site web, tandis que la recherche de preuves spécifiques n’est effectuée que durant le procès lui-même », souligne-t-il dans une interview avec l’auteur de ce texte.
Un indice du harcèlement de l’accusé, typique d’un SLAPP, peut être vu dans la longueur du procès et dans sa réouverture à deux reprises, également dans le recours à des mesures extraordinaires. La première décision par le tribunal de district de Dąbrowa Górnicza (où se trouve le siège du Parti communiste de Pologne) a été rendue en avril 2016 sur un mode expéditif généralement réservé aux délits mineurs et pour des situations où la culpabilité ne fait pas l’ombre d’un doute. Cela recouvre la possibilité de rendre un jugement sans avoir à tenir une audience ordinaire.
« Le tribunal de Dąbrowa Górnicza n’a tenu compte que du rapport du procureur, sans laisser à la rédaction la possibilité de se défendre. Les rédacteurs n’ont pas été en mesure de présenter leurs arguments, pas même de produire les documents de programme du Parti communiste polonais ni les versions intégrales des articles contestés par le parquet. Les rédacteurs condamnés ont fait appel de ce jugement, ce qui a contraint le tribunal à entamer une procédure judiciaire normale », a rapporté Piotr Ciszewski sur le site Internet Strajk.eu.[8]
Par la suite, le tribunal de district de Dąbrowa Górnicza a rejeté à deux reprises les accusations du parquet, décidant en janvier 2017 de mettre fin à la procédure et, deux ans plus tard, de prononcer un acquittement. Cependant, à la demande du parquet, le tribunal de district de Katowice a renvoyé deux fois l’affaire, en juin 2017 et en juillet 2019, pour un nouveau procès devant le tribunal de district.[9] Au cours de la bataille juridique, le 17 janvier 2017, l’un des quatre accusés, Marian Indelak, 90 ans, est décédé. Lors de l’étape la plus récente, le 17 mars 2020, le tribunal de district de Dąbrowa Górnicza a mis un terme à la procédure sous condition, obligeant les prévenus à verser chacun 1 000 PLN, environ 220 EUR, au « Fonds d’aide aux victimes », ainsi qu’à couvrir une partie des frais de justice. Les rédacteurs accusés n’ont donc pas été condamnés mais punis financièrement, ce qui devrait également être considéré comme une décision bizarre. Le tribunal de district semble avoir opté pour une solution sournoise. D’une part, faute de preuves, il ne pouvait pas, en toute conscience, condamner les accusés mais, d’autre part, il ne semblait pas vouloir fâcher des autorités plus élevées. Les accusés ont annoncé se pouvoir en appel contre la décision du tribunal.
L’affaire semble évidemment avoir connu une escalade sur demande de représentants gouvernementaux. C’est ce qu’indique aussi sa genèse. Elle a démarré avec un acte de dénonciation de la part d’un membre parlementaire du PiS (Law and Justice Party, Bartosz Kownacki, en 2013. À cette époque, cependant, le parquet refusa d’engager une procédure. Celle-ci n’a été lancée, sur la base de cette dénonciation, qu’après que le PiS eut remporté les élections législatives de 2015. Le 31 décembre 2015, le parquet de Katowice transmit un acte d’accusation au tribunal de district de Dąbrowa Górnicza. L’auteur de ce document n’a pas fait mystère du motif politique de sa dénonciation. Comparaissant comme témoin lors d’une des auditions, il a déclaré devant le tribunal que des personnes telles que les accusés « devraient être marquées au fer, éradiquées ».
Le procès est étroitement surveillé par les milieux de la gauche occidentale, qui y voient un dangereux précédent pouvant être instrumentalisé dans d’autres pays de l’Union européenne. À la veille des audiences qui ont suivi, des piquets de grève devant les ambassades polonaises ont eu lieu dans de nombreuses capitales du monde et des députés communistes du Parlement européen ont assisté à certaines des auditions en tant qu’observateurs. Le Parti communiste de Grèce (KKE) s’est montré particulièrement actif sur ce dossier.
Les préoccupations des communistes ouest-européens se voient confirmées par la résolution « sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » adoptée par le Parlement européen le 18 septembre 2019.
« La résolution falsifie l’histoire au sujet de la raison principale du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, désignant le pacte Molotov-Ribbentrop signé en août 1939 par le IIIe Reich et l’URSS. (…) Personne ne réécrit l’histoire à moins d’avoir en tête l’intention de modeler le présent et l’avenir. Aujourd’hui, l’enjeu est de discréditer et de priver de légitimité les communistes qui, à l’exception de ceux du Portugal, sont actuellement dépourvus d’influence sur les gouvernements européens, mais aussi, par association, tous les gens de la gauche radicale se situant plus à gauche que l’ancienne social-démocratie, elle-même depuis longtemps aspirée vers le "centre extrême" néolibéral », a commenté le chroniqueur Jarosław Pietrzak sur le site web Strajk.eu.[10] La campagne de diffamation à l’encontre des communistes de Pologne fait partie de ce même dessein.
Malheureusement, en Pologne, la gauche parlementaire semble être inconsciente de ces menaces, affichant sa totale indifférence au harcèlement de la rédaction communiste par le parquet. Piotr Nowak, chroniqueur sur le site Strajk.eu, met en garde contre les conséquences d’une telle attitude : « La condamnation de militants du Parti communiste polonais montre la direction que prennent les autorités. Le chemin est déjà tracé. Presque tous les régimes d’extrême droite ont commencé par attaquer les communistes, — Mussolini, Hitler, Franco, Pinochet, Suharto. » Il estime que le harcèlement des communistes est une tentative pour atteindre l’objectif plus large de « criminalisation effective de toute opinion située à gauche de la social-démocratie ». Il avertit que la menace est sérieuse, car « la bande d’ignares qui se sont hissés tout en haut de la structure du pouvoir sont beaucoup plus dangereux que les équipes précédentes, parce que, contrairement à ces dernières, ils sont habités par une vision, à savoir nettoyer la communauté nationale de ses éléments menaçants. » Les autorités s’en prennent aux communistes, pendant que des organisations de teinte ostensiblement brunâtre marchent en colonnes compactes, que dans les cimetières, des dignitaires d’État s’inclinent devant les héros de l’extrême droite, que les opinions racistes ou xénophobes sont présentées et légitimées à la télévision publique, dont les employés actuels se permettent d’appeler ouvertement à la violence, à l’instar du slogan « Et on pendra les communistes aux arbres en place des feuilles. »[11]
Une nouvelle menace planant sur le droit d’exprimer des opinions de gauche est constituée par la modification prévue de l’article 256 du Code pénal, consistant en l’introduction d’une interdiction des activités communistes et en l’établissement d’une peine de prison de trois ans. À la suite de cet amendement, le §1 sera remplacé par le texte suivant :
« § 1. Quiconque fait publiquement la propagande du système d’État nazi, communiste, fasciste ou de tout autre système d’État totalitaire, ou bien incite à la haine fondée sur des différences nationales, ethniques, raciales, religieuses ou en raison de l’athéisme de quelqu’un, est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 3 ans. »
En vertu du nouveau paragraphe 1a, il devient également interdit de promouvoir l’idéologie nazie, communiste, fasciste ou toute idéologie qui appelle à « l’utilisation de la violence pour influencer la vie politique ou sociale ». Est également punissable toute personne qui
« diffuse, produit, enregistre ou importe, acquiert, vend, offre, stocke, possède, présente, transporte ou envoie des documents imprimés, un enregistrement ou tout autre élément porteur du contenu spécifié au paragraphe § 1 ou 1a ou qui se fait le vecteur de symboles nazis, communistes, fascistes ou de tout autre symbolisme totalitaire utilisé de manière à promouvoir le contenu visé au § 1 ou 1a ».
Si de telles règles étaient actuellement en vigueur, le parquet — si on tient compte du but des communistes opérant légalement en Pologne — n’aurait pas à se soucier de prouver leurs tendances totalitaires. — La situation est vraiment dangereuse. L’article 256, dans sa nouvelle mouture, est une menace pour la démocratie et une criminalisation de la diffusion des idées de gauche. Les autorités pourront s’en prendre au « communisme » de manière totalement arbitraire. C’est un danger non seulement pour les partis ou associations de gauche, mais aussi pour les organisations sociales en général. Qui plus est, l’article 256 modifié constitue également une menace potentielle pour le monde de la recherche. Quiconque cite les études de Marx ou d’Engels peut se retrouver accusé, a déclaré Piotr Ciszewski, militant de l’initiative Histoire rouge lors de la manifestation du 12 juin 2019. La modification du code pénal a été transmise au Tribunal constitutionnel, qui doit l’examiner le 26 mai.[12]
Pour revenir au contexte du procès des rédacteurs de Brzask et des tendances anticommunistes montantes dans les milieux gouvernementaux, il convient également d’attirer l’attention sur l’article 13 de la Constitution polonaise, régulièrement mentionné par les responsables politiques et chroniqueurs de droite :
« Sont interdits les partis politiques et autres organisations se référant dans leurs programmes aux méthodes et pratiques totalitaires du nazisme, du fascisme et du communisme, ainsi que ceux dont le programme ou les activités envisagent ou autorisent la haine raciale ou basée sur la nationalité, le recours à la violence en vue d’acquérir du pouvoir ou de l’influence sur la politique de l’État, ou prévoient la dissimulation de leurs structures ou de leurs membres ».
De l’avis des anticommunistes, ce texte juridique est destiné à prohiber les activités des partis communistes. En fait, en dépit d’un libellé imprécis, quasi journalistique, celui-ci ne constitue pas une menace directe pour l’existence d’initiatives radicales de gauche. Quoiqu’il influence indirectement la forme de la législation, incitant par exemple à s’en prendre aux activités qu’énumère l’amendement de l’article 256 du Code pénal susmentionné. De l’avis du professeur constitutionnaliste Marek Chmaj, cette clause ne pénalise que les tendances totalitaires. « Ce texte doit être considéré conjointement avec le reste et il faut voir qu’il interdit les pratiques du nazisme, du fascisme ou du communisme qui relèvent d’une définition du totalitarisme ou se réfèrent au totalitarisme », détaille-t-il.[13] Naturellement, là encore, nous marchons sur le terrain fragile de la définition du totalitarisme. Par conséquent, la solution optimale serait de supprimer ce passage constitutionnel malheureux. De fait, il a été jugé inutile par Wojciech Sokolewicz, un professeur constitutionnaliste remarquable. « Une formulation tout aussi efficace que les dispositions détaillées de l’article 13 serait d’interdire simplement l’existence de partis (organisations) dont l’objet ou les activités sont contraires à la Constitution ».[14]
NOTES
- Enregistrement de Marcin Adam lors de l’audience à Dąbrowa Górnicza, en ligne :
Youtube, Odrodzenie Komunizmu: Proces KPP -Przesłuchanie Tow Marcina
Facebook, Bartosz Bieszczad - Document daté du 21 mai 2015, référence numéro 1 Ds. 104/15
- SALON24, Krzysztof Wołodźko : Rafał Łętocha : O ruchu narodowym, POLITYKA
- Ibid.
- Opinion d’expert sur la question : Les publications et les documents fondateurs du Parti communiste polonais présentés lors des procédures judiciaires à Dąbrowa Górnicza contiennent-ils du contenu faisant l’éloge de, ou faisant référence à, un système d’État totalitaire ? Une publication séparée d’analyse par le magazine Brzask ensemble avec les publications du site web du Parti communiste polonais, ainsi qu’une analyse du contenu publié sur le site web de KOMUNISTYCZNA PARTIA POLSKI – Association des jeunes communistes de Pologne (dossiers de la procédure judiciaire KR – 2036/13 , RSD-KR-726/13)
- Ibid.
- Ibid.
- Strajk.eu, Piotr Ciszewski : Najpierw przyszli po komunistów
- KOMUNISTYCZNA PARTIA POLSKI, cpofpoland : Proces redaktorów pisma Brzask wraca na wokandę
- Strajk.eu, Jarosław Pietrzak : Unia Europejska, faszyzm, komunizm i znak równości
- Strajk.eu, Piotr Nowak : Kiedy przyszli po komunistów
- Trybunał Konstytucyjny : Nowelizacja kodeksu karnego – postępowanie legislacyjne, dopuszczalny zakres poprawek senackich
- Marek Chmaj, Commentary on Polish Constitution Articles 11, 13, Varsovie 2019, p. 158.
- Wojciech Sokolewicz, article 13. Dans: Constitution de la République de Pologne. Un commentaire, (éd.) L. Garlicki, Varsovie 2007, p. 20.
Publié à l’origine dans Nasze Argumenty 1(3)/2020