Lors de son cinquième congrès en 2016 à Berlin, le Parti de la gauche européenne (PGE) a décidé d’établir un forum annuel des forces progressistes pour intervenir plus efficacement dans le débat public européen.
Vous trouverez la déclaration finale, en anglais et en français, disponible en téléchargement à droite (PDF).
À la suite d’un premier forum à Marseille (2017) et d’un deuxième à Bilbao (2018), un troisième forum s’est tenu à Bruxelles du 8 au 10 novembre 2019. L’événement a réuni 410 participants de 37 pays représentant 148 partis, de même que de nombreux syndicats, organisations et mouvements.
Une grande diversité de participants
On comptait parmi les participants des adhérents des partis membres du PGE et du réseau européen transform! europe, mais aussi des militants d’autres partis progressistes et de la gauche radicale et socialiste, tels que Génération·s (France), ou bien provenant d’un certain nombre de petits partis écologistes, comme l’Alliance pour le socialisme vert (Alliance for Green Socialism, Royaume-Uni) ou le Parti vert de Grèce, – bref des groupes disposés à coopérer avec les partis de la gauche radicale et avec le groupe europarlementaire Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique (GUE/NGL). Plusieurs syndicats participaient aussi, tels la Confédération européenne des syndicats (CES), la Confederazione generale italiana del lavoro (CGIL) ou encore le syndicat belge des métallurgistes Métallos MWB-FGTB, ainsi que de nombreuses ONG (majoritairement basées à Bruxelles). C’était donc un forum de forces européennes progressistes, écologistes et de gauche. Notable également était la présence d’un nombre plutôt élevé d’organisations de jeunesse, qui ont décidé de l’ordre du jour de leur propre assemblée au sein du forum et convenu d’un plan d’action 2020 à développer ensemble, – l’idée centrale de celui-ci a été incluse dans la déclaration finale du forum.
Objectifs
Le forum a pour objectif de développer des alternatives, d’organiser des campagnes spécifiques et de créer un espace de débat dans le cadre du combat pour une Europe qui soit à la fois socialement et écologiquement durable, pleinement démocratique, fondée sur les principes de la souveraineté populaire, libérée du patriarcat et opposée à toute forme de discrimination. Pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire de réinventer notre lutte contre l’extrême droite face à l’influence croissante de cette dernière, qui menace notre démocratie même. La nouvelle situation alarmante à laquelle nous sommes confrontés avait déjà été mise en exergue dans l’invitation au forum : notre planète brûle, nos démocraties brûlent, le changement climatique se poursuit et l’austérité accentue les inégalités sociales, sapant une démocratie que la droite remet en question.
Comment relever ces défis ?
La situation et les défis actuels ont été abordés en particulier durant les séances plénières, d’une façon parfois impressionnante, à partir d’un éventail de points de vue divers, des acteurs de la société civile et stratèges politiques aux parlementaires de gauche et syndicalistes, – ou bien encore grâce à un braquage de projecteur sur des acteurs et des luttes spécifiques. Jean-Luc Mélenchon, de La France Insoumise, a ainsi décrit l’imminence de la crise de civilisation qui menace de s’abattre sur une société capable d’exclure un nombre croissant de personnes de l’accès aux richesses qu’elle produit, et dont la logique autorise la destruction des ressources humaines et naturelles. Cette idée a été reprise par Manon Aubry (coprésidente de la GUE/NGL), laquelle s’est penchée sur les fondements systémiques du capitalisme néolibéral. Aubry soutient qu’il revient à la gauche de changer le système et que, dans ce but, nous avons besoin de solutions crédibles, de perspectives crédibles et de stratégies viables. Martin Schirdewan (coprésident de la GUE/NGL) a argumenté qu’un nouveau modèle de solidarité est ici nécessaire, avant d’enchaîner avec un commentaire sur de récentes évolutions législatives allemandes. Dimítrios Papadimoúlis (député européen, Progressive CAUCUS) a insisté sur quatre défis majeurs auxquels la gauche doit se mesurer : la lutte contre l’austérité, les accords de libre-échange, le populisme d’extrême droite et la quête d’un nouveau modèle social.
Pour la démocratie
Selon Walter Baier, coordinateur politique de transform! europe, le nationalisme et le néolibéralisme ont endossé de nouvelles formes qui obligent la gauche du monde entier à se recentrer sur l’enjeu de la démocratie et à collaborer pour développer des stratégies collectives spécifiques de solidarité, tant aux niveaux national que transnational.
Gregor Gysi, président du Parti de la gauche européenne, estime qu’il est nécessaire de former un nouveau front historique pour contrer le virage à droite qui, par-dessus tout, s’en prend aux membres les plus faibles de la société, à savoir les migrants. Un autre front devrait consister en l’organisation de la lutte face aux attaques incessantes des néolibéraux. Toutefois, pour réussir à affronter millionnaires et milliardaires, les militants de gauche auront besoin du soutien de la société dominante, c’est-à-dire de toutes celles et ceux qui ne souhaitent pas soutenir les mesures néolibérales. Il a également fait valoir que les réponses nationales ne suffisent plus : il faut à la gauche une envergure européenne. Cependant, a soutenu Philippe Lamberts (coprésident du groupe des Verts/ALE au Parlement européen), pour que cela se produise et pour s’attaquer à la cause profonde de ce système destructeur, les progressistes, la gauche et les écologistes ont besoin de croissance.
Pour la justice climatique
Guillaume Balas (coordinateur national de Génération·s) a exposé que les alliances étaient faisables, – y compris avec les classes sociales supérieures. Par exemple, la moitié de l’élite (française) est désireuse de promouvoir des projets sociaux et écologiques. La question est de savoir comment le paradigme « productiviste », c’est-à-dire la logique de croissance, peut être remplacée par un autre modèle de production et de reproduction. Kristy Louise Rhades, de la Fédération des jeunes Vert·e·s Européens (FYEG), a rappelé aux participants les répercussions des politiques extractivistes et notre aveuglement au lien entre développement économique et écologie. Rafael Correa, ancien président de l’Équateur, a présenté quant à lui la protection de la nature comme l’une des principales missions de la gauche car elle est une ressource vitale pour la préservation de la vie, – c’est d’ailleurs pourquoi les droits de la nature sont inscrits dans la constitution équatorienne, – et il a mentionné dans son discours l’encyclique du pape François sur l’environnement et l’écologie humaine, Laudato Si. Lors de son intervention, Helmut Scholz, député européen de DIE LINKE, s’est pour sa part interrogé sur la façon dont on pouvait baliser concrètement la voie vers une économie solidaire, et il a appelé par ailleurs de ses vœux l’inclusion de la justice climatique dans le traité de Lisbonne.
Le syndicaliste européen Ludovic Voet (CES) a discuté le lien entre changement climatique et méthodes de production, avant d’affirmer que le « Green New Deal » tant débattu est un pas dans la bonne direction, bien qu’il soit selon lui nécessaire que ce dernier puisse ouvrir des perspectives aux travailleurs, – il faut donc le retravailler dans le sens d’un « Green New Deal équitable ». Tiina Sandberg, de Unmasking Green Imperialism (« Démasquer l’impérialisme vert »), estime que le socialisme est la clé qui permettra des développements alternatifs et que, pour amorcer cette transformation, il faut s’appuyer sur une coopération et une solidarité permettant de rompre avec la logique capitaliste. Tibor Szanyi, ancien député européen de Hongrie, est intervenu pour en appeler à la solidarité écologique.
Analyse collective
Si on examine tous les vingt-quatre discours tenus en plénière – chacun limité à huit minutes seulement –, on y trouve les fondements d’un diagnostic collectif concernant les défis auxquels nous nous confrontons actuellement. La décision de programmer les discours clés les uns à la suite des autres n’a cependant pas permis de discuter les divergences de position, encore moins les controverses, qui ne cessent de freiner la capacité de la gauche européenne à agir politiquement : ce n’était pas là l’espace adéquat pour des analyses ou des discussions approfondies sur les stratégies et alternatives. Toutefois, les ateliers ont pu y remédier en partie.
Discussion collective
Les questions abordées dans les ateliers étaient nombreuses : la paix comme pierre angulaire d’une stratégie de gauche européenne (un atelier conjointement organisé par la Fondation Rosa-Luxemburg et transform!) ; les changements radicaux en cours dans le monde du travail, tels l’« ubérisation » de la société, la pression croissante engendrée par les technologies numériques, les droits des travailleurs, ou les nouveaux défis présentés par le capitalisme de plateforme ; l’autodétermination des peuples (à partir des exemples de la Catalogne et du Pays basque) ; le lien entre l’inégalité sociale et le changement climatique ; les politiques industrielles de gauche ; la protection des services publics ; la valeur de la culture dans la société ; la lutte contre l’extrême droite ; ou encore le lien entre guerre et migration. En relation à ce dernier thème, transform! a présenté une magnifique exposition intitulée Colors of a Journey (« Couleurs d’un voyage »), qui présentait des dessins d’enfants réfugiés racontant leur expérience. La situation sociale des femmes, leur accès aux retraites et la violence à laquelle elles sont exposées ont été autant de sujets abordés lors de l’Assemblée des femmes. Un atelier sur l’urgence climatique organisé par transform! a examiné enfin la question de savoir comment établir des ponts entre les connaissances scientifiques et la réalité politique et sociale, ainsi que le problème des modalités du passage de la théorie à l’action politique, et il a aussi permis d’initier une coopération nouvelle entre transform!, la Fondation verte européenne (GEF), la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et les ONG travaillant dans ce domaine.
L’assemblée des syndicats, qui comptait plus de 60 participants, s’est assignée pour tâche d’entreprendre aussi un travail sur un « Green New Deal équitable », ce concept étant abordé à la fois en tant que vision mobilisatrice et comme guide concret pour l’action.
Les différentes assemblées (femmes, jeunes et syndicats) ainsi que les ateliers ont fourni au forum un espace pour la discussion. Dans ce cadre, des questions ont pu être soulevées tandis que les divergences se sont manifestées. Les participant·e·s étaient en quête de solutions : de premières réponses ont été avancées, puis analysées plus avant, enfin évaluées de manière critique et discutées en profondeur. Des arguments ont été formulés pour être à nouveau débattus ; c’était une masterclass de la pensée critique, – et la vraie raison à l’origine de la création du forum.
Mobilisation collective
La déclaration finale du forum expose les progrès qui ont été accomplis par rapport aux deux éditions précédentes et présente l’événement comme un espace de travail politique, de collaboration et de réflexion pour des actions convergentes. Pour 2020 est prévue une année de mobilisations collectives, et un plan d’action sera élaboré dans cette optique. Cela sera fort nécessaire, – les exigences exprimées dans cette déclaration finale appelant un soutien urgent et une approche systématique. Y figurent notamment : la bataille pour le plein emploi ; des changements dans les modes de production et de reproduction ; la défense du secteur public ; l’égalité des genres et le rejet de toutes les formes de discrimination ; le passage de l’Europe à une zone exempte d’armes nucléaires et la lutte pour l’interdiction des armes nucléaires (Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, TIAN) ; une Europe qui privilégie les êtres humains, non le profit ; et l’élaboration d’une politique européenne de gauche capable d’incarner les valeurs du Manifeste de Ventotene et de transcrire et détailler ces idées dans des séries de mesures.
Synthèse
Dans l’ensemble, ce forum fut bien plus qu’une simple vitrine de la gauche européenne. Il a offert des allocutions essentielles et des discussions encore plus intéressantes, et il a également permis d’établir des groupes de travail, des assemblées et de nouvelles pistes de coopération. Les participants ont travaillé dur, créé des liens et élaboré des plans. Et tout cela est fondamental, en particulier pour de petits partis et organisations à qui cela a donné la possibilité de se rencontrer, ensemble avec un large panel d’acteurs de la gauche européenne.
Si le Forum européen veut avoir un impact au-delà de la gauche et ricocher sur un public européen plus large, conformément à l’objectif établi lors du congrès du PGE de 2016 à Berlin, il est crucial que les présidents des différents partis membres du PGE considèrent eux aussi ce forum comme pertinent pour eux, – eux aussi doivent participer aux débats et se joindre à nous dans notre recherche de réponses. Par nos questions, puissions-nous avancer !