2. Pour juger ce que le gouvernement a gagné et ce qu’il a perdu, ainsi que ce qu’il n’a pas gagné et ce qu’il n’a pas perdu, nous devons tenir compte de trois choses : les conditions dans lesquelles la négociation a eu lieu, les objectifs que chaque partie a essayé d’atteindre, les solutions alternatives.
3. Combien de parties prenantes siégeaient effectivement autour de la table ? La réponse est : beaucoup. Le résultat, mais de manière aussi importante, les étapes intermédiaires du processus de négociation, comportent des enjeux importants non seulement pour la Grèce et l’Allemagne, mais pour chacun des 17 pays de la zone euro. Cependant, l’approche qui réduit les enjeux aux « intérêts nationaux » est trompeuse. En réalité, les ministres des Finances de tous les gouvernements participants ont négocié la politique (et le pouvoir relatif) de leurs gouvernements respectifs. De la même manière, la Commission européenne a négocié sa politique (et son pouvoir relatif) par l’intermédiaire de Jean-Claude Junker, la BCE par celui de Mario Draghi, et le FMI par celui de Christine Lagarde.
4. L’extrême agressivité de Schäuble a témoigné de la pression à laquelle le gouvernement allemand a été confronté dans ses efforts pour préserver la primauté de sa propre vision de la crise et poursuivre les politiques d’austérité. Elle témoigne également de son effort pour maintenir les acteurs importants solidaires de son projet. Pour cette raison, les positions de la France et de l’Italie étaient d’une importance particulière. Les fissures qui ont pu être obtenues par le gouvernement grec – à ce stade – viennent principalement de ce côté, plutôt que du côté du « Front du sud » (Espagne, Portugal, Irlande), qui s’est parfaitement aligné sur le pilotage allemand, craignant une éventuelle montée de la gauche dans leur pays respectifs. Dans un sens, le jeu qu’ils ont choisi de jouer était même plus dangereux. Leur choix de s’identifier à la stratégie allemande était clairement contre les intérêts de leur propre peuple. Ce qui signifie qu’aussi longtemps que la Grèce sera en mesure d’assurer des victoires même petites, la pression sur eux va croître.
5. Compte tenu de tout cela, l’Allemagne a tenté d’assurer que le gouvernement de SYRIZA signe exactement les mêmes choses que le gouvernement précédent : D’une part, l’acceptation de toutes les conditionnalités en suspens pour l’achèvement de la cinquième évaluation du Programme d’ajustement de la Grèce (soumission économique) et d’autre part, l’acceptation de la logique selon laquelle le seul moyen de sortir de la crise serait celui proposé par l’Allemagne (soumission politique).
6. Cela ne s’est pas produit, pour deux raisons : la première raison est que SYRIZA ne bluffait pas à propos de ses lignes rouges. Le gouvernement a été et reste déterminé à respecter le mandat qu’il a reçu des électeurs et à rendre compte au peuple grec. La deuxième raison est que les élites politiques et économiques européennes ont été effrayées par la dynamique d’un affrontement. En d’autres termes, c’est une chose de croire qu’un Grexit est gérable, en termes de probabilités, et cela en est une autre d’en être sûr. L’expérience de Lehman Brothers a certainement appris quelques leçons à propos de cette nuance.
7. En ce sens, et dans ces circonstances, le second tour de négociations va commencer demain. Et il va durer aussi longtemps qu’il est prévu dans « l’accord de transition » de vendredi : quatre mois. Pendant ce temps, nous allons tirer des conclusions non seulement de cette négociation particulière – et de celles qui vont suivre – mais aussi pour des questions stratégiques plus amples et plus importants dans l’histoire de la gauche. Soyons donc prudents et patients. Nous n’avons pas encore la distance politique, temporelle et émotionnelle nécessaire pour porter des jugements définitifs.
8. Les quatre prochains mois seront une bataille avec le temps, mais surtout une bataille avec nous-mêmes. Un conflit en cours sur l’interprétation de l’accord (l’argumentation de Krugman dans son article "Démarche delphique", avec une claire référence aux énigmes de la Pythie, était prévisible), et pour cette raison nous devons utiliser toute la flexibilité possible dans l’accord, en gardant à l’esprit que l’autre côté va faire exactement la même chose.
9. Je suis entièrement d’accord avec le point de vue exprimé par le camarade Elias Ioakeimoglou dans un article très pertinent : « Le conflit n’est toujours pas résolu et le temps favorisera celui qui préparera le mieux les conditions pour la prochaine grande négociation ».
10. C’est ce que chacun d’entre nous (le gouvernement, le parti, les sujets politiques et sociaux impliqués dans notre projet) doit assurer pendant cette période : que les conditions dans lesquelles la négociation prochaine aura lieu nous seront favorables. Cela implique beaucoup de choses. Tout d’abord, cela implique que la possibilité d’un affrontement reste forte et que les manœuvres tactiques ne valent pas intégration. Cela implique également que nos engagements restent notre guide, et que leur hiérarchisation sera une véritable hiérarchisation et non un abandon. Enfin, cela implique que les processus politiques seront particulièrement importants pour assurer que ces questions seront débattues et comprises, mais aussi pour servir de mécanisme de contrôle. Si nous voulons du temps pour travailler de notre côté, nous devons investir dans une coopération véritable, concertée et substantielle entre nous, vers la résolution des vrais problèmes à venir et de façon strictement orientée par les intérêts du plus grand nombre. Cela déterminera très largement si le gouvernement de SYRIZA peut et doit continuer d’exister après le mois de juin.
Ce texte a été publié à l’origine sur : AnalyzeGreece le 24 février 2015.