Pour la première fois, notre gauche – la gauche de transformation – se montre capable de faire une campagne européenne. Plusieurs raisons à cela. Les choix austéritaires, appliqués certes de façon différenciée mais partout en Europe, rapprochent les réalités à affronter, les luttes, les propositions alternatives. Notre capacité à choisir Alexis Tsipras comme candidat commun pour la présidence de la Commission européenne permet pour la première fois dans une élection de symboliser, de rendre visible le ‘tous ensemble’ dans notre combat au niveau national et européen. Sans vouloir sous-estimer les efforts à réaliser pour progresser dans cette voie, mesurons et valorisons pleinement cette symbolique !
Ces dernières années, les coopérations entre acteurs sociaux et politiques de différents pays et traditions (exemple AlterSommet) ainsi que l’émergence du Parti de la gauche européenne comme espace politique commun de la gauche critique ont permis de rapprocher les points de vue tout en respectant la pluralité nécessaire et créative des modes de pensée et expériences, de formuler des plates-formes et axes majeurs pour la nécessaire refondation de l’Europe. Aujourd’hui, de nouvelles convergences s’opèrent lorsqu’en Italie, malgré le fractionnement à gauche, différentes composantes se retrouvent pour constituer une liste commune, lorsque des jeunes se mobilisent en Slovénie pour jeter les bases d’une force politique, lorsqu’en France la marche du 12 avril permet une coopération élargie entre forces anti-austérité.
Dans ce contexte, chaque voix, dans quelque pays que ce soit, en faveur d’une des listes convergeant avec le message d’Alexis Tsipras, chaque voix qui permettra d’élire des député-es GUE/NGL au parlement européen pèsera pour le rapport de force global dans l’UE. Faisons mieux comprendre ce que ressentent déjà de nombreux citoyen-nes notamment lorsqu’ils / elles sont impliqué-es dans des luttes sociales et politiques : le rapport de force créé dans un des pays co-détermine aussi celui des autres pays. Le lendemain des élections, nous n’allons pas seulement regarder les résultats par pays, mais additionner tous les résultats et députés de la gauche européenne et les comparer aux autres forces. L’utilité de chaque voix n’est donc pas seulement un enjeu national, mais désormais européen ! Chaque voix Front de gauche en France est par conséquent un acte de solidarité avec les luttes ailleurs, comme celle de Syriza en Grèce. Dans chaque pays, les forces en mouvement bénéficieront des progrès réalisés ailleurs. Si dans un de nos pays, une majorité de gauche arrivait à gouverner, la première chose à faire serait de voir sur qui compter en Europe (mouvements, partis, élus, députés européens, institutions, syndicats, intellectuels…) pour avoir la force de rompre avec la logique actuelle, pour pouvoir imposer d’autres choix. C’est aussi cette ambition, la préparation de telles situations qui imprègnent la campagne européenne de Tsipras. Ce dernier symbolise le refus croissant de l’austérité destructrice imposée dans tous les pays européens et dont la Grèce est un des terrains d’expérimentation les plus meurtris. Il représente la volonté de faire converger les luttes et les espoirs afin de refonder l’Europe.
Lors de cette élection, le groupe GUE/NGL progressera sensiblement. Tous les sondages le prédisent. En effet, les avancées électorales des forces portant dans d’autres pays des orientations proches de celles du Front de gauche français et notre capacité à avoir un discours commun visant la refondation de l’UE rendent aujourd’hui possible de franchir une étape. Certes, les forces dominantes vont s’employer à parler d’un progrès des « deux extrêmes » dans la mesure où l’extrême droite va progresser. Nous devons donc montrer avec force que notre combat a comme ambition l’existence, le développement d’une véritable gauche en Europe. Nos listes affichent partout en Europe la volonté d’une alternative face aux politiques d’austérité portées par la droite ou encore les sociaux-libéraux.
Avec les élections municipales, nous venons de vivre – même si ce n’est pas le seul aspect – un des moments les plus significatifs de la crise durable de la social-démocratie européenne. Décennie après décennie, son assise subit une érosion qui perdure. Dans certains pays, elle s’est brutalement accélérée ces dernières années, en Espagne (PSOE), en Grèce (PASOK), en France. En Italie, le parti social-démocrate a disparu, en Allemagne, il ne peut plus prétendre à être principale force de gouvernement. Puisque la gauche transformatrice a réussi, dans des processus complexes, à ne pas disparaître à la suite de 1989 et à commencer à se constituer (sous des formes ‘internationalistes’ nouvelles) comme sujet politique y compris au niveau européen, elle a aujourd’hui une très grande responsabilité : faire vivre une alternative pour contrer la dynamique de la droite extrême, mobiliser les citoyen-nes en leur proposant une politique qui vaille. Contrer l’extrême droite nécessite une expression constructive de la colère, un message clair : un Non de gauche à l’austérité, un oui à la lutte commune.
Certes, l’état de la crise en Europe ne permet aucun optimisme. La crise en Ukraine montre que la situation de l’UE est critique y compris du point de vue de sa politique extérieure et de sécurité, et qu’une redéfinition sous l’angle d’une émancipation des intérêts stratégiques des Etats Unis est indispensable. Mais être responsable exige aussi de formuler et rendre visibles les possibles. C’est à cela qu’il faut œuvrer dans cette campagne. Modifier sensiblement le rapport de force politique à l’occasion de l’élection européenne, c’est, à ce moment précis, la façon la plus efficace qui se présente à nous pour mener le combat de classe à l’échelle européenne.
Initialement publié par L’Humanité