Élections tchèques: «Non» à l’austérité et renforcement de la gauche

Auteur Jirí Málek

Les 12-13 ctobre 2012, des élections ont eu lieu en République tchèque. Elles concernaient les élections régionales et le tiers du Sénat. Leur impact politique pourrait avoir de profonds résultats pour l’ensemble de la société. Elles ont constitué un «Non» retentissant aux coupes budgétaires et à la soumission aux demandes du secteur financier mondial pour un redémarrage rapide du capitalisme néo-libéral

Les élections régionales peuvent être caractérisées comme suit :

– Elles reflètent l’insatisfaction marquée d’une grande partie de la population à l’égard du gouvernement actuel : ODS (Parti démocratique civique), TOP 09, LIDEM (un «fragment» du parti VECI verejné / Public Affair);

– Le ČSSD (sociaux-démocrates) a aussi sa part de responsabilité, bien que le parti soit dans l’opposition au gouvernement, il gouverne certaines régions dans le cadre de coalitions ;

– Le KSČM (Parti communiste de Bohême et de Moravie) a gagné en force en tant que représentant de la gauche radicale ;

– Des partis sans représentation parlementaire, y compris ceux qui sont connus, ont joué un rôle un peu plus important, mais seulement dans certaines régions (dans l’une ils sont arrivés en tête);

– Malgré l’apathie du public, la participation a été comparable à celle des élections précédentes (2008 – 40,3%, 36,9% 2012 – mais 62;6% pour l’élection parlementaire 2010);

– Simultanément ont eu lieu les élections d’un tiers du Sénat. La droite (en particulier l’ODS) a subi une défaite et il est déjà clair qu’elle ne sera plus dans la même position. Il y a une chance réelle que la gauche (ČSSD + KSČM) obtienne la majorité au Sénat au deuxième tour (les 19-20 oct.2012).

– Les soi-disant candidats indépendants n’ont obtenu qu’un succès marginal ;

– La hausse attendue des partis extrémistes (droite populiste) ou d’autres partis nouvellement créés fortement orientés sur le nationalisme et l’euroscepticisme d’extrême droite, etc, n’a pas eu lieu.Cela ne signifie pas, cependant, qu’il n’y a pas des différences locales marquées. Un parti d’extrême-droite avec un gain total de 1,57, a progressé notamment dans des lieux qui ont récemment vu des affrontements sociaux et ethniques, par exemple de 7,55% à Sluknov et de 13,5% à Varnsdorf – dans le nord de la Bohême.

– L’extension de la corruption et des comportements contraires à l’éthique de la part de l’élite politique, tant au gouvernement que dans «l’opposition» ČSSD, a contribué à cette atmosphère négative. Cela s’est traduit principalement par la « punition » des partis de la coalition et d’une partie du ČSSD, qui est également considérée comme étroitement liée à ces pratiques. Il y a eu récemment plusieurs révélations, ainsi que des procédures pénales pour abus de biens de l’État et des fonds de l’UE, mettant en cause des hauts fonctionnaires, des hommes politiques et des personnes étroitement liées aux partis représentés au parlement, à l’exception du KSČM.

– Il est vrai qu’à mi-mandat d’une législature, les résultats de l’opposition sont toujours nettement supérieurs à ceux de la coalition (en République tchèque). Cependant, la chute des grands partis a été plus forte en pourcentage, mais aussi en nombre de sièges (78 pour l’ODS 78, 75 pour le ČSSD). En revanche, le KSČM a gagné 68 sièges. TOP 09, qui n’était pas vraiment constitué lors des dernières élections, a obtenu 37 sièges, ce qui le fait figurer parmi les perdants. Le KDU-CSL (Démocrates-chrétiens) est resté pratiquement au même niveau (+5 sièges). Prague a une position particulière : c’est une région, mais les élections y sont couplées avec celles des municipalités (qui n’ont pas eu lieu cette année).

Comment évaluer les résultats pour la gauche ?

Dans presque toutes les régions, le ČSSD et le KSČM peuvent former des coalitions majoritaires. Au cours de la législature précédente, ils avaient formé des coalitions dans deux régions, et les résultats montrent que le jugement des citoyens était positif. Dans d’autres régions, il y a eu des gouvernements minoritaires du ČSSD avec le soutien tacite du KSČM, ou des coalitions avec le KSČM dans l’opposition. On a pu voir que ces coalitions n’ont pas apporté de meilleurs résultats pour le ČSSD dans ces élections de l’année. Une question clé pour le ČSSD est de savoir s’il est prêt à entrer ouvertement dans des coalitions avec le KSČM, ou s’il va chercher des moyens de l’éviter, même s’il est conscient du danger que les électeurs ne lui pardonnent pas sa participation à des coalitions locales avec la droite.

Le vote pour les listes KSČM (qui comprenaient des membres du parti et des non-membres) peut être caractérisé ainsi : il traduit le rejet du capitalisme libéral et de son concept de coupes budgétaires, faisant porter aux citoyens, employés, classes moyennes et retraités le coût de la crise et touchant le moins possible les détenteurs du capital. Il traduit aussi le mécontentement à l’égard des politiques du ČSSD, analysées comme une tentative de faire disparaître les effets les plus marquants sur la classe moyenne, mais mettant rarement en avant les demandes de changements plus fondamentaux conduisant à un changement de la situation. La troisième raison pourrait être le fait que, lors des précédentes élections législatives, les nouveaux partis qui avaient des programmes très peu clairs, mais des slogans très attractifs, ont remporté des succès considérables. Ils ont ensuite laissé tomber leurs électeurs, qui cette fois ont été beaucoup plus attentifs et ont refusé de nouvelles expériences (par exemple un parti VECI verejné – Public Affair a obtenu 10,88% aux élections parlementaires et seulement 0,25% cette fois-ci). Par conséquent, les listes KSČM et le profil critique du parti ont suscité de l’intérêt. Les autres organisations radicales de gauche n’ont pas présenté de candidats, sauf le KSC (Parti communiste de la Tchécoslovaquie). Il s’inscrit dans la continuité du Parti communiste (d’avant 1989) et peut être considéré comme un représentant de l’orthodoxie communiste. Les résultats du parti (il se présentait dans quatre régions seulement) n’ont pas d’influence sur le résultat global (au total 0,55%, avec 2,21% dans une région). Les bulletins de vote n’ont pas non plus traduit une influence importante des ONG de gauche et des associations de citoyens, etc.. Ces groupes ont été peu visibles au cours de la période préélectorale et n’ont pas mis en avant leurs propres propositions, n’ont pas négocié avec le KSČM et ne se sont pas particulièrement affirmés, soit par la formulation de programme soit en rejoignant les listes de KSCM. Les résultats des Verts a également été négligeable – 1,75%. Ce n’est que dans le cadre de coalitions que, dans une seule région, les Verts ont eu des élus.

Les bons résultats du KSCM sont dus à l’orientation pragmatique à long terme du parti. Régulièrement, certains fonctionnaires font des déclarations de « principe » ou affichent de façon visible leur loyauté envers les « idées » et ne ménagent pas leur critique acerbe du capitalisme. Toutefois, aux niveaux régional et municipal, en particulier, une politique ils adoptent une approche efficace, ce qui ralentit les étapes antisociales du gouvernement et donne une image positive du KSČM auprès du grand public. Les questions relatives aux programmes ne sont pas au premier plan des élections de cette année, avec les manifestes de tous les partis présentés en slogans courts. Le KSČM, dont l’électorat est plus de 10 fois plus important que le nombre de ses membres doit être conscient que de nombreux électeurs ne sont pas prêts à aller au-delà du capitalisme et ont, par essence peur de changements fondamentaux dans le système. L’objectif principal de la majorité des électeurs de gauche est une sorte de modification de l’’État-providence. Cela se reflète dans le travail politique concret des représentants de KSCM.

Du point de vue de gauche, ces élections sont aussi un témoignage de l’échec des alternatives radicales de gauche en dehors du KSČM. Ils n’ont pas réussi à présenter des variantes alternatives radicales de gauche de développement social. En raison de la passivité de ces organisations, ils n’ont pas non plus mis en avant l’idée d’unité de la gauche européenne et une approche commune. Le KSČM se méfie de l’intégration européenne et est opposé à l’UE dans sa forme actuelle ; c’est la raison pour laquelle on ne pouvait attendre de lui un ton fondamentalement européen. Dans le cas des groupes de gauche radicaux non-communistes, l’anti-communisme de certains membres est de plus en plus prononcé, par exemple dans le rejet du système des partis en tant que tels. Mais ces idées ont en réalité ont une chance non négligeable de trouver une résonance dans la société ; si elles sont visibles de l’extérieur, c’est sous la forme de l’abstention, électorale.

Ma dernière remarque touche à l’aspect politique international de ces élections « locales ». Elles ont confirmé qu’il existe dans la société tchèque un bloc stable (et en augmentation) sur des citoyens de gauche qui croient que la social-démocratie traditionnelle n’est pas capable de répondre à leur conception du fonctionnement de la société. Ils ont donc apporté un soutien significatif à une organisation de gauche radicale. Il s’agit d’une situation unique parmi les pays post-communistes. À long terme, le KSČM est la seule force pertinente en Europe centrale et orientale. Ceci doit être pris en considération dans l’élaboration de la stratégie de la gauche européenne. L’espace d’Europe centrale et orientale exige d’urgence une politique commune de gauche radicale, et il est clair aujourd’hui que ce n’est pas possible, sans intégrer activement cette gauche de République tchèque. Il est donc absolument nécessaire qu’à court terme, des moyens, même non-traditionnels, soient trouvés pour relancer une coopération active et stratégique. La situation complexe de l’UE, et les contingences politiques qui en découlent, exigent que la gauche européenne trouve de nouveaux types de coopération et une coordination plus efficace.

Elections aux conseils régionaux d’octobre 2012 en République Tchèque

13 régions – 7.472.000 électeurs

(A Prague, les élections ont eu lieu en 2010 – 943.500 électeurs)

Parti

Résultats en %

Nombre de votants

2008

2012

2008

2012

CSSD

35,85

23,58

1044719

621961

KSCM

15,03

20,43

438024

538953

ODS

23,57

12,28

687005

324081

KDU-CSL

6,65

5,82

193911

153510

TOP09

x

8,8a3

175089

Participation en %

40,30

36,88

CSSD – Parti social démocrate tchèque

KSCM – Parti communiste de Bohême et de Moravie

ODS – Parti civique démocrate, (libéral conservateur, anticommuniste et, notamment, eurosceptique)

KDU-CSL – L’Union chrétienne et démocrate – Parti populaire tchécoslovaque (parti politique chrétien exprimant des opinions démocratiques)

TOP 09 – parti conservateur et démocratique (plus conservateur).

La coalition actuellement au pouvoir, ODS + TOP 09 + LIDEM, n’a pas participé à cette élection.

Second tour de l’élection du Sénat : La gauche a renforcé sa position dominante

Le second tour de l’élection sénatoriale a eu lieu les 19-20 octobre et a confirmé le renforcement de la gauche. Cette fois, le vainqueur a été le ČSSD (sociaux-démocrates), c’est-à-dire une gauche modérée. Le KSČM (communiste) n’a conservé qu’un siège sénatorial, mais a perdu dans les duels directs au 2ème tour avec 1/ 9 sièges. La droite a continué à perdre, comme on l’attendait. L’ODS n’a conservé que 4 circonscriptions électorales et a perdu 9 sièges.

Après cette élection, le Sénat (81 sièges au total) est constitué comme suit: ČSSD – 46 sièges, KSCM – 2 sièges, ODS – 15 sièges, TOP 09 4 sièges, Verts – 1 siège, Pirates (en coalition avec les chrétiens-démocrates et les Verts ) – 1 siège. Le taux de participation n’a été que de 18,6%, le taux le plus bas a été de 10%. Le taux de participation le plus élevé a été de 30% à Prague 8 où le KSČM (vice-président J. Dolejs) était directement confronté à l’ODS (son candidat a été ouvertement soutenu par le président tchèque et les dirigeants du parti). Le résultat a été 62.5 / 37.5. Prague reste encore une forteresse de la droite.

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