Auteur Tommaso Fattori
En Europe, nous vivons une période dramatique. La démocratie agonise et nous assistons à des processus post-démocratiques au niveau national et supranational. Les dirigeants européens ont davantage concentré le pouvoir de décision sur les politiques publiques et budgétaires entre les mains d’une oligarchie de gouvernements, de technocrates et de la Banque centrale européenne (BCE), qui sont soumis aux diktats des marchés financiers. Le néolibéralisme, la véritable cause de la crise, non seulement n’est pas mort, mais il semble être en parfaite santé : il utilise la crise pour détruire les droits sociaux et les droits des travailleurs et pour privatiser les biens communs, les biens publics et les services publics. Enfin, la plus incroyable opération de propagande de notre époque est en cours, les États et les « marchés » tentant de faire croire que la dette publique a été causée par des dépenses sociales excessives et les salaires élevés. En fait, le secteur financier a provoqué la crise et le déficit budgétaire dans l’UE est le résultat de la crise, et non sa cause. Un moment comme celui-ci nécessite une réponse sociale forte : il est urgent d’agir maintenant, en unissant nos forces, en créant les conditions d’une réponse sociale commune, d’une mobilisation pan-européenne.Il y a un besoin objectif de construire un espace européen d’« alliances stratégiques » : pour élaborer des stratégies et des initiatives communes et reconstruire la solidarité. Lorsque l’attaque de la Grèce par les grandes puissances économiques et la «troïka» [le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la BCE] a commencé, nous avons, en Europe, été incapables d’organiser une réplique. Au contraire, chacun est resté engoncé dans sa propre crise et sa propre dimension nationale, laissant les Grecs seuls. Cela ne doit jamais se reproduire.
Au-delà de la fragmentation
Nous devons aller au-delà de la fragmentation actuelle de nos forces. La plupart du temps, nous nous mettons d’accord sur l’analyse et les propositions – aujourd’hui en Europe, nous avons des centaines de documents, des appels, des déclarations qui constituent une bonne base pour une plate-forme commune – mais nous devons unir nos forces.
Florence 10 +10 se veut seulement une contribution à un processus plus général. L’espace européen d’aujourd’hui est l’espace minimum nécessaire si nous voulons construire une alternative sociale et économique crédible. Sous-estimer la dimension mondiale de l’affrontement entre le capital et le travail, le capital et la nature, le capital et les biens communs, est une erreur. A Florence, nous voulons offrir aux acteurs sociaux réels un espace utile pour des alliances et une stratégie au niveau européen, liant les résistances et les luttes locales.
Nous devons aussi faire tomber le mur entre l’est et l’ouest de l’Europe en impliquant pleinement l’Est et les Balkans. Et bien sûr, nous devons construire des ponts vers le sud de la Méditerranée, où le prochain FSM aura lieu en 2013.
Enfin, il est nécessaire d’avoir une vision à long terme. C’est pourquoi le nom retenu est Florence 10 +10 : dix ans après le FSE de 2002, mais surtout « plus dix » pour montrer la nécessité de construire une stratégie commune et une vision pour les dix prochaines années et de ne pas limiter notre horizon à demain, aux prochaines élections politiques. Il s’agit de comprendre dans quelle direction nous voulons aller.
Il n s’agit pas d’un Forum social européen
Florence 10 +10 est une expérience, s’appuyant sur des expériences et des processus antérieurs : un espace pour une reconnexion, orientée vers l’action. Ce n’est pas un Forum social européen (FSE), même si le « prétexte » pour la mise en marche du processus est précisément le dixième anniversaire du premier FSE. Le FSE a été un moment extraordinaire dans la construction d’un demos à l’échelle du continent, qui a élaboré des analyses, des propositions et des solutions qui – si elles avaient été traduites en politiques – auraient évité à l’Europe et au monde de sombrer dans la terrible crise économique, environnementale, sociale et démocratique dans laquelle ils sont maintenant embourbés. Dix ans plus tard, personne ne veut commémorer ce que nous étions alors, et encore moins reprendre les chemins qui appartiennent à ce temps et à ce stade de développement. Les mouvements sociaux ont changé, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition, il y a eu des défaites, mais aussi des victoires, comme celle du mouvement de l’eau et des biens communs avec le référendum italien il y a un an. Il est certain que ce n’est plus le moment de nous éparpiller en des milliers d’ateliers et de séminaires. Il nous faut définir un noyau d’actions et d’initiatives fortes et communes. C’est pourquoi le programme pour Florence 10 +10 ne se réduit pas à des cases à cocher avec des centaines d’initiatives déconnectées (ni une sorte d’« université d’été » pour les mouvements sociaux). Au contraire, nous avons identifié ensemble, lors de la réunion internationale préparatoire de Milan, cinq « domaines d’alliance » (ou domaines clés), à partir des sujets que les réseaux et les coalitions travaillent déjà en Europe.
Cinq domaines clés
1) La démocratie
Les réseaux, mouvements sociaux et organisations de toute l’Europe veulent remplacer le processus de haut en bas par un processus partant de la base, afin de construire un Pacte démocratique (les bases d’une Europe démocratique fondée sur le respect de la dignité de chacun, citoyen du pays ou étranger, et sur la garantie des droits individuels, collectifs, sociaux et du travail). Il faut aussi construire un mur contre la droite, la xénophobie, la rupture des solidarités. La démocratie, c’est aussi la reconstruction de la solidarité sociale.
2) Finance / dette / austérité
Au cours de Florence 10 +10, nous allons discuter à la fois de la dette publique et privée dans le but de formuler de nouvelles propositions pour un autre modèle économique européen, libéré des marchés financiers et de la dictature de la dette et fondé sur la solidarité et la participation de tous aux décisions qui déterminent notre avenir. Nous ferons converger ainsi les campagnes contre l’austérité, le pacte budgétaire européen, ainsi que les audits et tribunaux de la dette.
3) Les droits sociaux et du travail
Le droit du travail ne peut pas être séparé des droits sociaux en général et il est nécessaire de proposer des alternatives concrètes pour que chacun bénéficie d’une vie dans la dignité et d’emplois d’avenir. Beaucoup de propositions doivent être discutées, y compris celle d’un revenu de base minimum universel.
4) Les biens communs et les services public
Cette « sphère d’alliances » traitera de nombreuses questions liées à notre environnement naturel et social, aux biens communs numériques et aux services publics, telles que la terre, la nourriture, l’eau, l’énergie, mais aussi les droits sociaux, l’éducation et le savoir. Il abordera également et réfutera l’agenda post-Rio couvrant l’économie verte, la marchandisation de la nature et les infrastructures inutiles qui sont censés nous aider à sortir de la crise. L’objectif est de trouver un terrain commun pour des actions stratégiques, ainsi que des solutions concrètes de solidarité pour ceux qui luttent en ce moment sur le terrain pour protéger leurs services publics et biens communs contre la privatisation et la marchandisation.
5) L’Europe dans la Méditerranée et dans le monde
Cette « sphère d’alliances » repose sur quelques éléments fondamentaux : la nécessaire inclusivité de l’Europe, la coopération, la solidarité et le commerce équitable, la paix et la justice sociale, le soutien aux luttes pour la démocratie et les droits de l’homme (les révolutions arabes, les luttes contre l’occupation – territoires palestiniens, Sahara occidental – et les droits de peuples comme les Kurdes). La question des stratégies de lutte contre la militarisation de la Méditerranée sera également abordée.
Des débouchés concrets
Dans le meilleur des cas, Florence 10 +10 pourrait produire un noyau de propositions d’action, qui sont le résultat des cinq « sphères d’alliances » et de lancer une grande mobilisation européenne commune pour le début de l’année 2013 : une manifestation à l’échelle continentale ? Un rassemblement international à Bruxelles ? Une grève européenne ? Nous devrions au moins essayer d’identifier une initiative que nous pouvons faire ensemble.
Dans le même temps, nous cherchons à construire un troisième niveau : pour lancer ensemble un processus pour le moyen-long terme. L’une des principales idées et propositions est le lancement de l’« Altersummit » comme un processus qui débutera en novembre, et comprendra plusieurs étapes, y compris diverses mobilisations et un point culminant en 2013 à la fin du printemps, probablement à Athènes.
Une vaste gamme d’acteurs sociaux soutiennent maintenant l’initiative : les mouvements sociaux, les syndicats, les groupes de citoyens et d’associations (environnementales, culturelles), les organisations étudiantes, les groupes féministes, des militants individuels.
De nombreux processus en cours vont converger à Florence : la première rencontre du Mouvement européen pour l’eau bien commun, une grande assemblée sur la démocratie, qui réunira des acteurs très différents (y compris 15M en Espagne et Blockupy Francfort), la réunion des différentes coalitions travaillant sur les finances et la dette, la réunion d’économistes critiques, pour ne citer que quelques exemples.
Florence 10 +10 est une occasion et une contribution. Ce n’est pas un processus en soi : c’est une partie d’un processus unitaire plus vaste. Peut-être ce processus n’est-il pas parfait et novembre est tout proche, mais nos ennemis – les pouvoirs économiques et financiers, les technocrates – sont très rapides, tandis que pour le moment nous avons été trop lents et fragmentés.
Pour en savoir plus sur Florence 10 +10, voir : www.firenze1010.eu
Cet article a été publié d’abord à: http://www.redpepper.org.uk