Journal de campagne : regard à droite

Comment Le Pen, Zemmour et Pécresse se déploient-ils idéologiquement et socialement dans l’espace de la droite et de la droite extrême ?

Pour l’instant, c’est entre Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour que se joue la qualification au second tour avec Emmanuel Macron. Pressentie au second tour par toutes les études d’opinion depuis quatre ans, la candidate du Rassemblement national (RN) est tombée de son piédestal à l’automne, avec l’entrée en lice du candidat d’extrême droite, Zemmour, puis l’intronisation de Valérie Pécresse comme candidate des Républicains (LR).

La campagne en quelques éléments :

  • Malgré des restrictions sanitaires empêchant les meetings politiques de se tenir dans leur format habituel et un démarrage timide de campagne pour beaucoup de candidat·es, le rythme des événements politiques s’est intensifié ces dernières semaines.
  • La gauche, atomisée en 8 candidatures, peine à se rendre audible et créer des espaces de débat et de discussion pour se faire entendre, à cause d’une forte domination des personnes et idées de droite et d’extrême droite dans les médias. Mais pas seulement. Le débat à gauche ne parvient pas à s’émanciper de la question de l’union que vient imposer la primaire populaire, pourtant largement décrédibilisée. Dans cet espace, Jean-Luc Mélenchon est le candidat récoltant le plus d’intentions de vote (+/- 9 %) et le plus audible notamment grâce à ses meetings réguliers et faisant salle comble.
  • La droite, continue d’être morcelée entre trois blocs : Zemmour, Le Pen et Pécresse.
  • Au centre, Macron se maintient à la première place, largement en tête des sondages, alors même qu’il n’est pas encore officiellement en campagne. La récente prise de poste à la présidence du Conseil de l’UE par la France lui confère une stature puissante et rassembleuse.

Valérie Pécresse – Les Républicains (+/- 16 % d’intentions de vote)

Pécresse, désormais au coude à coude avec Le Pen dans les sondages (autour de 16 %), travaille depuis son élection en congrès des LR à déblayer un espace entre le macronisme (où elle pourrait pourtant incarner l’aile droite) et l’extrême droite. La candidate, qui se définit comme « 2/3 Merkel, 1/3 Tatcher » et convoque régulièrement son héritage chiraquien, mène une campagne surtout dirigée contre Macron, en tentant d’apparaître davantage sérieuse et ferme que lui. Sur l’Europe par exemple, elle fait face à la difficulté de trouver un créneau entre l’euro-enthousiasme macronien et le nationalisme d’extrême droite. Si la plupart des objectifs de la candidate figurent déjà à l’agenda de l’Union ou sont déjà portés par Macron (taxe carbone, grands projets industriels, régulation des réseaux sociaux…), sa différence se loge dans les sujets sécuritaires et migratoires. C’est en Grèce que la candidate a effectué son premier voyage de campagne hors de France, où elle a affiché sa fermeté sur les questions migratoires dénonçant une « Europe passoire » et louant « les murs de barbelés » face aux personnes migrantes. Pécresse se montre également très attachée à la rigueur budgétaire et à la nécessité de supprimer des postes de fonctionnaires. Avec sa récente déclaration pour « ressortir le karcher » pour « nettoyer les quartiers » lors d’un déplacement dans un quartier populaire pour parler rénovation urbaine, la candidate est allée chercher les électeurs sarkozystes de 2007.

Socialement, elle rassemble un électoral plutôt habituel de la droite libérale et conservatrice : âgé (elle fait son meilleur score chez les + de 65 ans), professionnellement surtout des retraités, mais aussi des chefs d’entreprise, artisans, commerçants. Forte de sa position de présidente d’Ile-de-France, la candidate jouit d’un fort soutien des électeurs franciliens attachés à la droite traditionnelle.

Éric Zemmour – Reconquête (+/- 13 % d’intentions de vote)

Zemmour engage quant à lui une campagne agressive, à l’extrême droite, sur deux volets principaux : une justice plus dure, notamment à l’égard des personnes immigrées et de leurs familles, et une immigration strictement contrôlée (suppression du droit du sol, interdiction de la régularisation aux personnes entrées illégalement). Sa campagne est ouvertement islamophobe (interdiction du voile islamique dans l’espace public, interdiction de construire des lieux de culte), quitte à proposer des mesures anticonstitutionnelles. Le candidat affiche ensuite ostensiblement d’autres mesures « choc » comme le fait de retirer les prestations sociales aux parents d’enfants perturbateurs à l’école, l’interdiction des projets de construction d’éoliennes, ou encore le remplacement des conseiller·es d’éducation par des « surveillants généraux ». Son programme économique reste volontairement flou, seules des mesures démagogiques sont annoncées, comme une légère augmentation du SMIC, une obligation pour les entreprises de participer aux frais de carburant de leurs employé·es et une exonération des charges pour les heures supplémentaires.

D’un point de vue stratégique, Zemmour, tente de se positionner comme la clé de voute de la droite, comme le seul candidat à droite pouvant unifier son camp. Il veut en finir avec ce qu’il décrit comme une « digue morale » érigée entre l’extrême droite et la droite qui l’empêche d’accéder au pouvoir. Si d’anciens cadres du RN et des LR s’affichent désormais aux côtés du candidat, l’une de ses limites réside dans le fait qu’il tienne ce raisonnement des droites réconciliables en se situant à la droite la plus radicale ou la plus extrémiste.

Le candidat Zemmour doit une grande partie de ses 13 % à des électeurs ayant voté Marine Le Pen et François Fillon en 2017. Ces mouvements électoraux permettent d’esquisser le profil des votant·es de Zemmour. Du côté de l’électorat de Le Pen, c’est parmi les classes supérieures que la candidate a perdu le plus de voix au profit de Zemmour. Du côté des Républicains, c’est parmi les groupes les moins dotés qu’ils sont le plus nombreux à désormais déclarer voter pour Zemmour.

Ce profil social du votant de Zemmour se confirme, puisque le candidat fait des scores très élevés parmi les catégories aisées, puis moyennes et reste faible dans les catégories pauvres, où il fait son score le plus bas parmi les milieux ouvriers. Zemmour ne parvient pas non à toucher l’électorat rural et reste peu probant chez les jeunes et chez les femmes.

Marine Le Pen – Rassemblement National (+/- 16,5 % d’intentions de vote)

Marine Le Pen mène une campagne moins audible et est par certains observateurs qualifiée de « gentille victime » du « méchant Zemmour ». Mais il faut se méfier de ce discours, la candidate frontiste reste bien placée et la polarisation opérée par Zemmour lui permet de continuer son procédé de dédiabolisation. La candidate mise ainsi, pour atteindre la seconde place, sur l’endormissement du front républicain — ou cordon sanitaire — ainsi que sur une forte abstention qui favorise toujours son parti. De plus, si Zemmour est omniprésent dans l’espace médiatique, Le Pen met en avant sa meilleure connaissance du terrain et des Français·es, et appuie sur le manque d’expérience politique de son concurrent.

En 2017, la candidate proposait de sortir de l’euro, mais cette année cette position n’est plus tenable. La candidate cultive un flou sur les questions économiques avec des propositions plus à gauche que par le passé, comme la défense des petites retraites, des salaires, des services publics, et des positionnements orientés CSP+ qui la rangent dans l’orthodoxie libérale, comme la nécessité morale de rembourser la dette. Si les mesures fortes de son programme sont plutôt celles consacrées à stopper toute forme d’immigration et à l’éradication des idéologies islamistes, la candidate propose quelques mesures économiques largement inspirées des revendications des Gilets jaunes : baisse de la TVA sur les produits énergétiques, hausse du salaire minimum et suppression de la redevance télévision. Marine Le Pen va jusqu’à prôner des mesures sociales, mais à condition qu’elles bénéficient uniquement aux familles françaises. Des ajustements marginaux plutôt qu’une vision économique, mais pour son électorat, qui l’a rejointe pour son discours anti-européen, anti-immigration, anti-islam, les questions identitaires prennent le pas sur tout le reste.

Sociologiquement, la force de MLP est de rassembler un électorat jeune (22 % chez les – 35), populaire (31 % chez les ouvriers) et davantage féminin que masculin (respectivement 20 % et 14 %). De plus, elle conserve sa force de frappe dans les espaces ruraux et chez les populations les moins diplômées.

Conclusion

Pour conclure, l’extrême droite se trouve dans un paradoxe intéressant bien qu’inquiétant : elle avance divisée mais puissante. Son omniprésence dans les médias capture le débat de la campagne présidentielle sur ses sujets de prédilection (immigration, sécurité, nation). Macron bénéficie largement de ce développement en se plaçant en comparaison comme le candidat du camp progressiste, et le seul pouvant faire rempart. La gauche, divisée et bien moins audible, doit rapidement tailler des espaces d’expression pour développer des thématiques qui lui sont propres (écologie, éducation, justice sociale, etc.) et son projet émancipateur.

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