Sur fond de COP27 en novembre en Égypte, Fatma Khafagy livre une analyse des luttes féministes liées aux enjeux climatiques dans le monde arabe.
(mise à jour 20/11/2022)
La région arabe subit les effets du changement climatique, parmi lesquels une hausse des températures qui menace la vie même. La multiplication des crises liées au climat, la rareté des ressources en eau, l’élévation du niveau de la mer, la pollution des rivières ainsi que d’autres facteurs y affectent à la fois les sociétés en général et les femmes plus spécifiquement. Les femmes souffrent des risques du changement climatique et de ses conséquences, alors même que se déroulent dans la région arabe des conflits armés et des guerres ainsi que, depuis 1967, l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens occupés (TPO). Les gouvernements arabes ont accusé un retard dans la lutte contre les changements climatiques et dans le combat pour limiter l’impact de ces changements sur les communautés marginalisées et appauvries de la région.
Des difficultés accrues dans les zones de guerre et les régions transfrontalières
Dans les territoires palestiniens occupés, Israël contrôle 80 % de l’eau des aquifères de Cisjordanie. À Gaza, la population se voit refuser l’accès aux terres agricoles arables de la « zone tampon » créée par Israël, soit 20 % des terres agricoles fertiles totales. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, la piètre réglementation de l’air, des sols et de l’eau du fait des colonies israéliennes fait surgir des menaces environnementales supplémentaires. En Palestine, ce sont 118 installations d’eau et d’assainissement qui ont été détruites durant la période 2012-2013. L’insécurité alimentaire affecte actuellement un tiers de la population palestinienne. Et il faut s’attendre à ce que ce chiffre augmente encore, vu que 85 % de l’agriculture palestinienne dépend des précipitations, lesquelles diminueront à terme de 30 % en Méditerranée orientale selon les projections.
Les interdépendances transfrontalières dans la région rendent les programmes de lutte contre la crise climatique difficiles. L’Irak dépend ainsi de la Turquie et de l’Iran pour son approvisionnement régulier en eau, ce qui accroît sa vulnérabilité. De même, la Syrie dépend de l’eau de l’Euphrate, et de la Turquie. Quand la Turquie a construit des barrages qui ont restreint le débit fluvial vers la Syrie pendant la guerre, le pays a été confronté à de graves pénuries. La population palestinienne, quant à elle, dépend de l’eau qu’elle achète à la puissance occupante, ce qui la place dans une situation de vulnérabilité. En outre, les États du Proche-Orient, du Maghreb et du Golfe sont contraints d’entretenir des relations politiques stables afin de protéger de potentiels réseaux électriques transfrontaliers communs.
« Féminisation du travail agricole »
Dans la région arabe, la plupart des femmes sont actives en agriculture. Dans ces pays, des millions de femmes travaillent sur des terres agricoles qui ne leur appartiennent pas, alors même que les travailleuses du secteur agricole sont les plus qualifiées du point de vue de l’indispensable préservation des terres et des ressources en eau — ainsi que de l’environnement en général.
Les femmes exercent de nombreux travaux dans le domaine agricole. Elles travaillent principalement dans le cadre de l’entraide familiale non rémunérée, ou bien comme travailleuses agricoles payées à un salaire minimal et saisonnier. Selon les estimations, les femmes ne possèdent que 5 % des terres agricoles dans le monde arabe. En Égypte, qui détient pourtant le système agricole le plus ancien, les femmes ne sont propriétaires que de 5 % des terres. En Tunisie, les femmes en possèdent moins de 14 %. Au Liban, elles en détiennent 7,1 % et, en Arabie saoudite, 8 %. La part de femmes dans la population active agricole du monde arabe a fortement augmenté au cours des dernières décennies, passant d’environ 30 % en 1980 à 45 % en 2010, une croissance plus rapide que dans toute autre région du monde. Dans certains pays de la région, la migration masculine et les conflits armés ont fait que les femmes représentent plus de 60 % de la main-d’œuvre agricole, un phénomène identifié comme celui de la « féminisation de la main-d’œuvre agricole ».
Comme dans beaucoup d’autres régions, les femmes de la région arabe sont responsables de la production de 60 à 80 % de la nourriture, et pourtant, elles possèdent rarement les terres agricoles. Ces travailleuses disposent d’une faible sécurité foncière, de peu de pouvoir décisionnel et d’un contrôle limité sur l’utilisation des terres. Les rôles de genre socialement construits, l’accès inégalitaire à l’administration foncière et les pratiques discriminatoires achèvent de limiter l’accès aux terres et leur contrôle par les femmes. À cela s’ajoutent des modèles de communs fonciers qui reflètent les lois et pratiques coutumières et religieuses du monde arabe, lesquels façonnent les moyens pour les femmes d’accéder aux terre et de les administrer.
Le fardeau du travail de care (non rémunéré)
Qui plus est, la souffrance des femmes s’accroît en raison du travail non rémunéré effectué dans l’espace domestique, car sur elles repose le fardeau de répondre aux besoins de tous les membres de leur famille et de gérer les ressources limitées dont elles disposent pour assurer la sécurité et la santé des personnes du foyer. Ces fardeaux sont encore aggravés par le changement climatique, ainsi que par l’incapacité des politiques et des programmes publics de prendre en compte les besoins des groupes les plus marginalisés, parmi lesquels les femmes et les filles.
Quelles perspectives
Il est nécessaire que les femmes obtiennent le contrôle de ressources économiques comme la terre et l’eau afin qu’elles puissent assurer leur sécurité, développer leur capacité de décision et participer activement. Elles ont également besoin d’avoir accès à des technologies et à des services susceptibles d’alléger leur charge de travail.
Alors que la COP28 se tiendra après la COP27 à nouveau dans la région arabe, les féministes arabes ont la conviction que les femmes et les filles doivent avoir le droit de participer et de contribuer à des postes clés dans le combat pour la justice climatique en tant que titulaires de droits égaux et en tant qu’agentes du changement.
Malheureusement, les organisations de la société civile rencontrent de nombreuses difficultés au niveau de l’ONU quand il s’agit d’obtenir des accréditations leur permettant de participer ou même d’assister à une COP. Il faut notamment s’inscrire un an à l’avance et remplir un formulaire de candidature très complexe. Concernant spécifiquement la COP27 à Charm el-Cheikh, les responsables de l’organisation n’ont pas facilité la participation des ONG. Les autorités concernées ont préféré choisir pour participer à la COP27 vingt-huit ONG égyptiennes qui ne sont pas particulièrement actives dans la lutte contre le changement climatique. Ce sont des ONG favorables au gouvernement égyptien. Il est indispensable que l’espace citoyen égyptien s’ouvre à des organisations de toutes sortes, tels syndicats mouvements, lors des événements nationaux ou internationaux.
La plupart des mesures de mitigation et d’adaptation face au changement climatique ne tiennent pas compte du rôle des femmes ni de leurs contributions essentielles et vitales. Car ni le mépris constant du rôle et de l’action des femmes, ni les mesures adoptées jusqu’à présent ne pourront aboutir à des solutions efficaces ou durables face à la crise climatique. Les femmes de la région arabe ne sont pas les victimes passives du changement climatique, elles sont au contraire déjà à l’avant-garde de l’action pour le climat en tant que catalysatrices du changement, tandis que leurs connaissances et compétences multiples sont indispensables à une mobilisation transformatrice au profit du climat.
Bibliographie :
Egypt’s first updated nationally determined contributions (8 juin 2022)
Egypt National Strategy for Climate Change 2050. Préparé par Integral Consult
Khafagy, Fatma (2022), Impact of Climate Change on Women in Egypt
National Strategy for Mainstreaming Gender in Climate Change in Egypt (Juin 2021), EEAA, CIUCN, CEDARE