Deux hypothèses principales sous-tendent cette brève analyse des élections au Portugal.
La première est que nous avons rarement vu une telle efficacité de propagande et au profit de la coalition formée par deux partis d’un gouvernement austeritaires (PSD / CDS-PP). Cette efficacité de la propagande, soutenue par des messages erratiques de la Commission européenne, a couvert le vide de leur programme politique et a été très bienveillante à l’égard des résultats dévastateurs de l’austérité accablante. Cette même efficacité, cependant, a réussi à être proportionnelle aux faiblesses stratégiques inoffensifs du Parti socialiste (PS).
La deuxième hypothèse concerne l’affirmation que la lutte contre l’austérité est une position politique claire. C’est le déploiement sur ce champ de bataille qui a permis la croissance exponentielle de la gauche radicale avec des gains parlementaires importants pour le Bloc de gauche (BE). Cela provient également de l’accent mis sur les effets concrets de l’austérité (chômage, précarité, inégalité sociale ainsi que positions claires sur la situation internationale et l’Union européenne), qui, avec Catarina Martins, porte-parole de BE, a entraîné le succès électoral d’un message politique ouvrant la voie en termes de soutien militant, à l’intérieur et en dehors du parti.
Ces deux hypothèses s’articulent dans une trame conduisant le scénario portugais dans un processus de négociation qui marquera le cadre politique qui en résulte.
La cosmétique de la peur
« Écoutez ce que je dis / Je vais vous dire un secret / les peurs du monde sont très rentables » – ce sont les mots de Capicua, un rappeur portugais ayant des préoccupations civiques non dissimulées. Écrits des années avant la dernière séquence électorale, ces mots résument la peur comme un instrument d’affaire et de profit, donc opposé à la politique, définie comme critique et lucide. La peur est l’un des sentiments imposés préférés de l’ordolibéralisme – et la peur a été l’une des principales stratégies du discours de la droite au Portugal.
La peur a servi de paravent à un programme politique vide et imprécis dans un scénario de brouillard, soutenu par des indicateurs présentant une diminution du taux de chômage et la reprise économique. Ces indicateurs, résultat d’une sévère manipulation statistique, ont contribué à forger une image un peu menaçante de retour à la première étape de la crise ; la peur a été lancée comme un rideau protégeant de toute évaluation d’un mandat gouvernemental globalement désastreux. Le gouvernement austéritaire menace le pays avec le mirage d’une austérité encore plus grande et, simultanément, il impose les mêmes acteurs et les mêmes politiques sous un manteau dissimulant efficacement le maquillage.
Parallèlement, le PS est confronté à l’hésitation sur son propre agenda. Celui-ci propose la reprise des revenus grâce à la décapitalisation de la protection sociale, le gel des plans de retraite et la flexibilisation du droit du travail – oscillant entre les « engagements européens » et l’adoucissement de l’austérité avec un économiste libéral comme gardien avec la rigueur d’un bailleur de fonds (concrétisant presque la formule ironique de Marx « contradiction sociale dans l’action ») qui ne parvient pas à mobiliser qui que ce soit. Pour la première fois, cependant, une part considérable de l’électorat a choisi BE comme orientation politique vivante, solidement structurée autour de l’hypothèse d’une façon de gouverner efficace.
Les résultats définitifs des élections montrent comment, en ce qui concerne l’argumentation désespérée de la droite, la peur se retourne souvent contre ses propres instigateurs. Selon la conclusion de la chanson de Capicua citée ci-dessus, « ils ont peur que nous n’ayons plus peur ».
De vraies personnes
Le refrain « vraies personnes » est porteur d’un double sens. Il a servi comme slogan de campagne, en réaction soit aux modèles d’image sur les panneaux d’affichage et les affiches de la coalition de droite soit comme contrepoint aux faux chômeurs recrutés par le PS et aussitôt dénoncés par les médias et les réseaux sociaux. Ce fut aussi un appel à des personnes concrètes par des personnes concrètes en vertu d’un programme politique totalement assumé. Sous ce mot d’ordre est aussi née la solidarité internationaliste envers les réfugiés comme une réponse de gauche au langage financier bureaucratique avec une position claire pour une force anti-austérité orientée vers une nouvelle hégémonie. Le bien fondé en a été prouvé quand, en affirmant une alternative au PS transformé en « one man show », BE a déployé son message et a affirmé une position à la pointe de l’opposition de gauche. La lucidité affichée tout au long de la campagne sur l’objectif de former un gouvernement alternatif a partiellement annulé l’argument « vote tactique », présentant la lutte contre l’austérité comme le centre du projet économique et politique. Cette articulation a renforcé les positions de BE.
Deux conséquences principales pour la négociation à laquelle nous sommes confrontés :
1. BE a tenu bon en tant que force politique avec des réponses claires aux problèmes importants. Toute la campagne n’a fait que renforcer cette tendance, soulignée par la déclaration électorale de Catarina Martins : « Une coalition minoritaire de droite ne constituera pas un gouvernement au Portugal si la démocratie ne lui donne pas une majorité. Pour ce qui dépend de BE, ce ne sera sûrement pas le cas ».
2. La coalition de droite, même après avoir perdu environ 700.000 voix et, par conséquent, la majorité absolue, maintient un avantage de 4 points sur le PS. Cela va obliger le PS à préciser sa position, valider la coalition de droite ou négocier un gouvernement alternatif avec BE, le Parti communiste et les Verts (CDU). Cette impasse est plus que purement contextuelle comme le montre clairement l’hésitation inopérante des partis sociaux-démocrates à faire face à la crise. La situation portugaise montre clairement cette impasse. Au moment où j’écris ce texte, le PS tient un débat interne, entre leadership positionné au centre refusant tout accord avec la gauche et une position, peut-être plus proche de ses propres racines sociales, qui approuve une alternative, et une alternative au moins capable de respecter la loi fondamentale.
Les prochains jours seront décisives et les lignes sont claires : si une alternative à la droite est vraiment possible, cela ne peut que s’appuyer sur une orientation anti-austérité, qui dépend fondamentalement de la résolution par le PS de sa dérive sur cette question ; d’autre part, s’il valide la constitution d’un gouvernement minoritaire de droite, nous pouvons nous attendre à une crise d’identité de droite au cœur non seulement du PS mais aussi une amplification de la crise d’identité qui affecte l’ensemble de la social-démocratie européenne.
Quoi qu’il en soit, le prochain travail des forces de la gauche radicale sera lié profondément à son lien avec les rues, avec les mouvements sociaux et avec les moyens de transformation permettant de forger, en Europe, une nouvelle posture politique contre la peur.
Intervention de la porte-parole du Bloco de Esquerda, Catarina Martins
"(…) Bloco de Esquerda a obtenu aujourd’hui son meilleur résultat depuis toujours. Nous avons obtenu plus de votes, plus de mandats, plus de force que jamais.
Nous comprenons le vote du peuple et nous acceptons la responsabilité qui nous a été donnée.
Nous avons été un vote de confiance pour les travailleurs, les jeunes et les retraités. Je remercie les plus d’un demi-million d’électeurs pour la confiance qu’ils nous ont accordée, et je vous dis : Bloco tiendra et honorera sa parole.
C’est pourquoi je suis ici pour vous parler de l’avenir.
La coalition de droite a assurément remporté le plus de suffrages, mais elle ne devrait pas célébrer la victoire puisqu’elle a perdu 30 députés et plus d’un demi-million de votes. Ensemble, PSD et CDS ne disposent plus d’assez de voix pour privatiser la protection sociale ou réduire les pensions. Une nouvelle majorité gouvernementale Passos Coelho et Paulo Portas a été rejetée par la démocratie et rien de ce qu’ils diront ne masquera leur défaite.
Si le président, soit par esprit de parti soit par manque d’attention aux votes, fait appel à ce gouvernement, vous devez tous savoir que Bloco de Esquerda honore sa parole, et – comme c’est notre mandat – nous rejetterons au Parlement le programme gouvernemental appauvrissant le Portugal.
Les électeurs n’ont pas choisi l’austérité et le sacrifice ; les électeurs ont dit qu’ils en avaient assez de l’austérité et du sacrifice. La majorité a voulu un changement et ils ont droit à ce changement.
Le Portugal a besoin d’un plan d’urgence qui rassemble les forces. Pour guérir les blessures de la pauvreté, il a besoin d’investissements, d’augmenter le salaire minimum, de se débarrasser des menaces de coupes des retraites.
Le Portugal a besoin de la paix et de la certitude que nous faisons de notre mieux contre le chantage financier, parce que notre dette doit être restructurée pour permettre une politique de santé publique, d’éducation et de stabilité pour les retraités.
Nous aurons des journées et des années difficiles. On entendra beaucoup parler de crise politique, de jeux de pouvoir et d’astuces. Mais Bloco de Esquerda n’oublie jamais l’essentiel : la crise sociale, les difficultés de vie des gens, un enfant sur trois vivant dans la pauvreté, un million de chômeurs, et plus d’un million de retraités qui vivent avec moins de 10 euros par jour pour se loger, manger et prendre soin d’eux-mêmes. Ce sont les problèmes que craint notre pays. Je vous le promets solennellement : Bloco n’abandonnera pas le Portugal, il n’abandonnera pas à ceux qui travaillent ou ont travaillé ici. Nous avons besoin d’être fermes, d’avoir les idées claires et de prêter toute notre attention à l’essentiel, et l’essentiel est l’emploi.
Le Portugal échouera si on ne redresse pas notre économie pour créer des emplois.
Le Portugal gagnera s’il s’engage dans la démocratie et réaffirme sa responsabilité ».
Catarina Martins
Bloc de Gauche coordinateur
Lisbonne, le 5 octobre 2015