Le capitalisme moderne = Une société oligarchique?

Selon l’économiste  des Etats-Unis, Paul Krugman, le "Débat-Piketty" conduit à  « une révolution dans notre compréhension des tendances à long terme de l’inégalité » (Krugman 2014: 71).
Cette thèse ne signifie pas qu’avec Piketty toutes les questions méthodologiques et empirico-théoriques des structures de distribution modernes  peuvent être résolues, mais que "nous n’allons plus jamais parler de la richesse et de l’inégalité comme avant." (Ibid: 81) Ce bouleversement du discours scientifique et public provient d’une présentation de l’état actuel et de la connaissance historique concernant la dynamique de la répartition des richesses et des revenus depuis le 18ème siècle. (Piketty 2014: 571)
Le sujet principal des études de Piketty est l’inégalité dans la répartition des revenus et de la richesse. Il vise à découvrir les raisons du développement socio-économique qui prêtent de plus en plus au capitalisme moderne les caractéristiques d’une structure sociale oligarchique. Plus que dans tout autre pays, la majorité des citoyens des États-Unis se considèrent comme appartenant à la classe moyenne. Contrairement à de nombreux pays européens, où le terme "classe moyenne" se réfère à de petits entrepreneurs, aux membres des groupes aux revenus supérieurs et  aux professions indépendantes, aux États-Unis, le terme "classe moyenne" désigne une "couche intermédiaire" de citoyens qui excède largement le nombre de pauvres et de riches. Actuellement l’opinion prévaut que le rêve de la société de classe moyenne américaine s’est, depuis un certain temps, dissous dans le cauchemar de la destruction de la classe moyenne. La répartition inégale des revenus, la concentration de la richesse et la fin de la société de classe moyenne – tels sont les sujets pour lesquels l’économiste français Thomas Piketty est devenu un auteur célèbre aux Etats-Unis, où pendant des années de nombreuses études ont été présentées sur cette transformation du Rêve américain.
Piketty examine l’accumulation du capital et la répartition des revenus en Europe occidentale et aux Etats-Unis depuis le début du 19ème siècle jusqu’à la grande crise du 21ème. Ce faisant, il arrive à la conclusion que le moment de la distribution inégale des revenus et de la propriété du capital se rapproche des valeurs atteintes pour la dernière fois à la fin du 19ème siècle. Les données concernant les rapports entre la richesse et les revenus sur une durée de 100 à 200 ans sont tout sauf incontestables. [1] Par exemple, les données fiscales souvent utilisés ne comprennent pas l’accumulation d’actifs dans les dispositions pour la pension de vieillesse, qui jouent un rôle beaucoup plus important pour les couches moyennes et inférieures de la société que pour la classe supérieure. Par ailleurs, les réductions d’impôt pour les revenus et les actifs élevés dans un certain nombre de pays depuis 1980 ont réduit les manœuvres d’évasion de la part des personnes à revenu élevé. Cela signifie que les données fiscales pourraient en fait trop insister sur l’augmentation des inégalités. [2]
Une controverse supplémentaire a récemment été déclenchée par une critique selon laquelle Piketty a mal « adapté », souligné et interprété certaines données. Même après une réponse de dix pages de la part de Piketty publiée ces jours-ci, un certain nombre de questions restent encore sans réponse. Dans l’ensemble, cependant, il continue d’être plausible que dans de nombreux pays, les inégalités concernant les revenus et la richesse ont augmenté de façon significative depuis 1980. « La grande idée de Le Capital au XXIe siècle, c’est que nous ne retrouvons pas seulement les niveaux d’inégalité des revenus du dix-neuvième siècle, nous sommes aussi sur la voie du retour au capitalisme patrimonial, dans lequel les grandes décisions de l’économie sont contrôlées non pas par des personnes de talent, mais par des dynasties familiales. » (Krugman 2014: 72)
Krugman souligne, à juste titre, que notre connaissance et l’évaluation des inégalités dans la répartition des revenus et des richesses sont principalement basées sur des enquêtes. « Pourtant, malgré leur utilité, les données des enquêtes ont des limites importantes. Elles ont tendance à sous-estimer ou à ignorer la totalité des revenus d’une poignée d’individus au sommet de l’échelle des revenus. Piketty et ses collègues ont utilisé une source tout à fait différente d’information: les dossiers fiscaux. Piketty et al. . ont … trouvé des façons de fusionner les données fiscales avec d’autres sources pour produire des informations qui complètent de façon décisive les données des enquêtes » (Ibid: 74). [3]
Les changements de ces dernières décennies ont conduit à un renversement de la « grande densification » des années 1950, lorsque l’écart entre riches et pauvres a diminué progressivement. Au début du 21e siècle, les inégalités aux Etats-Unis ont atteint un niveau sans précédent depuis la crise économique mondiale de 1929, Les États-Unis ressemblent de moins en moins aux démocraties de la classe moyenne d’Europe occidentale et se rapprochent d’une société «oligarchique», bien connue en Amérique latine et Russie post-soviétique, où la richesse est concentrée entre les mains d’une minorité opposée à une énorme classe inférieure. Des études ont montré que plus de la moitié des gains de croissance économique au cours des deux dernières décennies ont été accaparés par les plus riches et un pour cent de la population américaine, raison pour laquelle le mouvement Occupy Wall Street a appelé cette élite économique « les un pour cent ».
La thèse principale de Piketty peut se résumer ainsi : les Etats-Unis ainsi que la plupart des autres sociétés capitalistes modernes restructurent leur forme sociale vers un ordre oligarchique, dans lequel une petite minorité de gens très puissants et très riches est en mesure de dominer tous les domaines cruciaux sur le plan économique, social et politique grâce à leur puissance financière, économique et politique, qu’ils stabilisent pour les générations à venir.
Piketty compare les données statistiques actuelles avec celles du 19ème siècle et est arrivé à une formule qu’il dit être en mesure d’exprimer la tendance centrale à long terme du capitalisme: r <g. Le profit généré par la richesse privée est plus élevé que le taux de croissance économique (g). Sans recourir à des formules et des chiffres, Piketty exprime ses conclusions avec des mots simples : « Le Capital est de retour » (cf. Illustration 1)
Illustration 1: L’inégalité des revenus aux États-Unis, 1910-2010 (part des 10% supérieurs)

Aux Etats-Unis entre 1910 et 1940, la part du revenu des dix pour cent les plus riches de la population a atteint 40 à 45% du revenu national. Entre le milieu des années 1940 et la fin des années 1970, la part du revenu des dix pour cent ne représentait que le niveau relativement faible de 35%. Dans plusieurs études sur les rapports dedistribution aux États-Unis, ce stade de développement est aussi décrit comme la « grande compression ». On entend par là que dans des conditions de forte transformation technologique («changement technologique basé sur les compétences») les couches sociales moyennes  ont connu une phase de prospérité grâce à des mesures de politique distributive. [4] Un aperçu de la dynamique des relations de distribution dans les principaux pays capitalistes au cours du 20e siècle montre – mais avec des différences marquées selon les pays -, que dans les dernières décennies du siècle, une nouvelle densification ou resserrment de l’inégalité sociale s’est opérée en faveur d’un petit groupe de personnes riches ou à revenu élevé. Piketty identifie comme suit les facteurs essentiels responsables du retour à des structures patrimoniales ou oligarchiques du capitalisme :

  1. Au sommet de la société l’inégalité massive provient d’un mélange d’actifs (avec les revenus correspondants) et des salaires / traitements.
  2. Dans les premières décennies du 20e siècle, c’était le plus souvent (avec quelques exceptions dans le cas des Etats-Unis) l’inégalité par rapport à la propriété d’actifs qui était responsable de l’état de la structure de classe.
  3. Aujourd’hui également l’extrême inégalité en faveur des couches supérieures de la société résulte des revenus générés par la propriété du capital. Simultanément, l’importance de la rémunération provenant du travail a augmenté pour les couches supérieures de la société, contribuant ainsi à l’ensemble de l’inégalité.

Les explications de Piketty sur la dynamique de l’inégalité sociale pour l’ensemble du 20ème siècle, restent controversées. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne son affirmation selon laquelle au cours des dernières décennies, les rendements des actions ont augmenté plus rapidement que l’ensemble du revenu national. Piketty n’inclut pas dans ses considérations la dynamique de l’offre croissante du capital financier, c’est à dire la baisse des taux d’intérêt depuis le début des années 1980 et ses effets sur la hausse des prix des obligations et des biens immobiliers. Ses références à la fin de la progression de la productivité et au recul de la croissance de la population ne suffiront pas non plus à mettre un terme au débat sur les raisons pour lesquelles la croissance économique subit un fort ralentissement et un passage possible à une phase de stagnation.
La critique Piketty s’attaque à son étude trop superficielle et à la généralisation qu’il fait des différentes composantes structurelles de l’accumulation du capital et donc aussi de l’évolution des questions de distribution des traitements et salaires. Tout au long du 20ème siècle, nous avons assisté à une évolution vers le haut des revenus de masse à la suite de la croissance des structures organisationnelles et de l’impact des syndicats. Au cours des dernières décennies, il y a eu une baisse de la part des salaires et une dispersion des salaires et traitements en raison de la baisse de l’adhésion syndicale et de l’adhésion à des conventions collectives. Les changements structurels ainsi que le poids élevé du secteur financier et l’intensification de la politique de déréglementation ne sont pas pris en considération dans l’enquête de Piketty pendant de longues périodes.
L’objectif du livre de Piketty ne concerne pas les revenus, mais les actifs. La part des actifs entre les mains des plus riches est aujourd’hui beaucoup plus grande aux Etats-Unis qu’en Europe. Les 10% les plus riches des Américains possèdent 70% de la richesse nationale globale, les 1% les plus riches en détenant 35%. En Europe les 10% les plus riches sont propriétaires de 60% de tous les actifs, les 1% les plus riches en détenant 25%. En particulier les avoirs contribuent fortement à consolider les rapports de force économiques et, indirectement , les rapports de force politiques, car ils sont beaucoup moins que les salaires et traitements liés à ce qui a été accompli individuellement, mais ils sont légués. (Cf. Illustration 2).
Illustration 2: Valeur de tous les biens du secteur privé en % de l’ensemble de la richesse nationale
 
Le capital, c’est-à-dire la valeur des entreprises, biens immobiliers, des obligations et des prêts, a, au cours des dernières décennies, augmenté beaucoup plus vite que la richesse de l’ensemble de la société. C’est pourquoi les détenteurs de capitaux ont laissé derrière eux les salariés et les salaires ainsi que les couches moyennes de la société. Depuis la fin des années 1970, la phase de grande compression a tourné court, la croissance économique a commencé à ralentir, les réductions d’impôt ont contribué à la hausse des revenus du capital et les profits du capital ont explosé,  ce dernier phénomène résulte également de l’expansion de le secteur financier. Cela ne vient pas seulement du fait les riches ont des rendements plus élevés de leur capital que les petits épargnants, mais aussi et plus encore parce que les actifs sont légués à des enfants moins nombreux. [5]
Piketty, dans son étude s’intéresse au développement du capital. Mais comme d’autres chercheurs sur les rapports d’inégalité, il ne lui échappe pas que les origines de l’aggravation de l’inégalité se trouvent dans une relation mixte des revenus du capital et du travail. Ce qui est incontestable, c’est que dans la partie supérieure de la société les revenus générés par les immobilisations dépassent les revenus de salaires, traitements et primes. [6]

Appropriation par les 0,1% du haut de la société [7]

Il existe un consensus sur l’hypothèse que la disparité des revenus a depuis les années 1980 massivement augmenté, tandis que dans le même temps, la concentration de la richesse a augmenté modérément. Pourtant, on ne peut défendre l’affirmation selon laquelle l’inégalité croissante est un simple phénomène provenant des revenus du travail. Il reste également à expliquer pourquoi aux Etats-Unis le petit groupe des 0,01% des revenus les plus élevés ont au cours des deux dernières décennies réussi à accaparer une part très élevée de la richesse globale (cf. illustration 3).
Illustration 3: Différenciation interne des 1% du sommet
 
Piketty souligne l’importance particulière de l’élite économique (les 10% supérieurs) dans l’aggravation de l’inégalité sociale, en particulier aux Etats-Unis. Saez et Zucman, qui reprendront et développeront davantage cette démarche d’investigation, en concluront même que ce sont les 0,01% de la couche supérieure avec leurs hauts revenus qui sont responsables de la forte augmentation de l’inégalité. Ainsi, la question de savoir où se trouvent les causes de ce changement dans la répartition des revenus du travail devient encore plus urgente.
Le revers de cette ascension d’un petit groupe au sein de l’élite économique, c’est à dire leur appropriation d’une part disproportionnée de la richesse sociale, est le déclin social de la grande majorité. Bien sûr, il est nécessaire de différencier aussi parmi les 90% – en particulier, cela concerne la dynamique de précarisation du travail salarié, des salariés et des travailleurs pauvres ainsi que la pression sur les couches moyennes. L’évolution du taux d’épargne de cette majorité, processus qui, avant même la grande crise, s’est traduit par une baisse sensible de l’épargne (épargne négative), prouve fortement les changements des rapports de distribution aux Etats-Unis.
Depuis la Grande Dépression de 1929, l’écart entre les riches et les pauvres aux Etats-Unis n’a jamais été aussi large qu’aujourd’hui. L’augmentation de la part de l’élite supérieure dans les richesses correspond à la diminution de la part de la grande majorité. La détérioration de leur situation concernant les revenus et la propriété trouve son expression dans le fait que 85% de ces américains-adultes disant appartenir à la classe moyenne partagent l’idée qu’il est plus difficile aujourd’hui pour les membres de la classe moyenne de maintenir leur niveau de vie que cela ne l’était il ya dix ans. 62% des personnes ayant ce point de vue en attribuent la responsabilité au Congrès, 54% aux banques et institutions financières, 38% à la concurrence de l’étranger et 34% à l’administration Obama. Seuls 8% disent que ce sont les classes moyennes qui elles-mêmes doivent être tenues pour responsables.

Le capitalisme des marchés financiers

L’accroissement des inégalités sociales et la « disparition de la classe moyenne » (Krugman) ne sont en aucune façon limités aux Etats-Unis. Plutôt, partant des Etats-Unis dans les années 1970, l’évolution vers une société de propriétaires, la règle de propriétaires d’actifs a prévalu, en remplacement de l’ère du « capitalisme régulé socialement ». Ce système, géré selon les spécificités nationales et historiques, a reflété l’expansion des droits sociaux et de la propriété sociale (systèmes et revendications de sécurité) sans en même temps suspendre la dynamique capitaliste des procédures d’accumulation et de distribution.
La principale caractéristique de l’accumulation du capital générée par les marchés financiers est une polarisation sociale croissante – qui affecte à la fois les revenus et les actifs. Cette tendance s’est renforcée, comme le montrent les données publiées par l’OCDE pour la période de 2007 à 2011 en ce qui concerne la situation des revenus. « La part des 1% les plus riches dans le revenu total avant impôt a augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE au cours des trois dernières décennies, en particulier dans certains pays anglo-saxons, mais aussi dans certains pays nordiques (à partir d’un niveau assez faible) et dans les pays d’Europe du Sud. Aujourd’hui, ils sesituent de 7% au Danemark et aux Pays-Bas jusqu’à près de 20% aux États-Unis. Cette augmentation provient de la partie supérieure des 1% qui a accaparé une part disproportionnée de la croissance globale des revenus au cours des trois dernières décennies : jusqu’à 37% au Canada et même 47% aux Etats-Unis. Cela explique pourquoi la majorité de la population ne peut pas mettre en rapport les chiffres de la croissance de l’ensemble des revenus avec celle de leurs propres revenus. Dans le même temps, les réformes fiscales dans presque tous les pays de l’OCDE ont réduit les taux de l’impôt ainsi que les taux des autres taxes qui touchent les revenus les plus élevés. La crise a mis un arrêt momentané à ces tendances – mais elle n’a pas annulé la hausse précédente des hauts revenus. Dans certains pays, les hauts revenus avaient déjà largement récupéré en 2010 » (OCDE 2014, voir illustration 4)
Illustration 4 : Croissance des revenus des 1% les plus riches par rapport aux 90% (1975-2007)

Les « classes moyennes », « couches moyennes » ou le « milieu social » pressurés sont au cœur du conflit politique ayant résulté de l’exacerbation de l’antagonisme de classe déclenché par le capitalisme de marché financier. Ces classes sont définies par leur niveau de revenu, la qualification et la position sociale de leurs emplois. Les « classes moyennes » peuvent être caractérisées par « trois éléments centraux : un revenu suffisant, un niveau particulier d’éducation ou de qualification professionnelle et une position sur le marché du travail au­dessus du travail peu qualifié et physique ». (Bertelsmann-Fondation 2012: 48). A regarder de plus près le « milieu » décrit ainsi montre, cependant, que des groupes très disparates de personnes ont été amalgamés dans ce groupe : entre autres, des travailleurs salariés qualifiés des industries capitalistes, des salariés du secteur public, des travailleurs indépendants ainsi que des personnes sans emploi (retraités, pensionnés). Ceux-ci sont soumis à des conditions de travail et de vie complètement différentes en fonction de leurs positions respectives dans la production sociale et le processus de reproduction. [8]
Ni les politiques néolibérales des années 1980 et 1990, ni les politiques de la « Nouvelle classe moyenne » n’ont été en mesure de tenir leurs promesses de stabilisation de la situation du « milieu » en proposant des aides incitant à la propriété ou en supprimant les cotisations sociales des traitements et salaires. Les conséquences ont été une distance croissante par rapport au système politique dans le « milieu » également et la poursuite de l’érosion des anciens partis populaires.
Cette déstabilisation de la « classe moyenne » et la crise de la représentation politique ne peuvent pas être contestées même par l’élite politique et économique au pouvoir. Dans le même temps une partie de cette  élite ­contraire à toutes les tendances de l’évolution fondées sur des preuves empiriques – affirme que la diminution et la polarisation des revenus des couches moyennes ne sont que des mythes et que l’état de panique des « classes moyennes » n’est pas fondé.
En même temps que la prise en compte de ce processus de destruction de la classe « moyenne », un changement profond de paradigme a eu lieu qu’on pourrait décrire comme un adieu àla « classe moyenne » en tant que fondement de la politique bourgeoise. « Pourtant, la question demeure de savoir si les couches moyennes sont capables de maintenir la cohésion d’une sociétémoderne et complexe comme la nôtre et donc quelle est l’importance d’une large couche moyenne… C’est un fait qu’une sociétéstable avec la paix sociale ne repose pas sur une large classe moyenne, mais peut aussi être garantie par les possibilités de mobilité». (Enste et al 2011: 15).
Jusqu’àprésent, on ne perçoit pas chez les esprits éclairés de conception politique convaincante pour stabiliser les couches moyennes àl’époque de la grande crise par rapport au « mythe des classes moyennes ».

Notes
[1] Chris Giles, journaliste au Financial Times, avait accusé Piketty de l’utilisation de calculs de mauvaise qualité. Piketty reconnaît que les sources d’inégalité de la richesse sont beaucoup moins systématiques que celles disponibles pour l’inégalité des revenus. Cependant, les corrections proposées par le FT sont « pour la plupart relativement mineures, et n’affectent pas les évolutions de long terme et mon analyse globale ». Dans le même temps, ils sont eux-mêmes en fonction des choix méthodologiques qui sont « tout à fait discutables ». Les sources de données peuvent encore être optimisées mais ne remettent pas en cause les conclusions de fond. Depuis plus de dix ans, Piketty, soutenu par ses collègues Anthony Atkinson (Oxford) et Emmanuel Saez (Berkeley) a analysé les dossiers fiscaux historiques et nourri son ordinateur avec les données économiques de 20 pays.
[2] Comme le montrent l’exemple de l’Allemagne et des CD sur les fraudeurs fiscaux, la pratique de l’évasionfiscale est encore largement répandue parmi les entreprises et les propriétaires d’actifs. À cet égard, les données fiscales soulignent plutôt l’inégalité. Il reste à étudier si la fiscalité est plus efficace dans d’autres pays.
[3] La Banque fédérale d’Allemagne a comparé le bilan global  du patrimoine économique avec une enquête auprès des ménages privés. Selon les résultats, la « couverture des actifs par les ménages privés peut être qualifiée de bonne. Les actifs nets du secteur des ménages privés est, à 90%, couverte par l’étude PHF » (Banque fédérale allemande 2013). Les données générées par cette étude faite à partir de l’enquête auprès des ménages sous-estiment la propriété réelle. Ces différences peuvent s’expliquer, entre autres, par le fait « que les très riches ménages allemands ne sont pas représentés dans l’échantillon. Cela a des effets en premier lieu sur les valeurs médianes ». (Ibid., P. 28). Voir aussi: Joachim Bischoff / Bernhard Müller: Europameister in sozialer Ungleichheit. Vermögensverteilung in Deutschland, dans Sozialismus 7-8 / 2013, pp. 36FF.
[4] Les sociologues tels que Streeck parlent de la « fin du capitalisme démocratique ». Du point de vue des politiques de distribution, cette formule contient un verdict sur le capitalisme du 20° siècle. Piketty le traduit ainsi : « Ne vous méprenez pas : la croissance d’une véritable ‘classe moyenne patrimoniale (ou possédante)’ a été la principale transformation structurelle de la répartition des richesses dans les pays développés au cours du XXe siècle. » (Piketty 2014 : 260)
[5] Par leur nature même, les revenus fondés sur la propriété et le capital sont « des revenus sans rendement ». Piketty l’exprime clairement en disant qu ‘ « il est significatif que les mots « rente » et « rentier » ont pris des connotations très péjoratives au XXe siècle. Dans ce livre, j’utilise ces mots dans leur sens descriptif d’origine, pour désigner les loyers annuels produits par une immobilisation et les personnes qui vivent sur ces loyers » (Piketty 2014: 422).
[6] Nous sommes confrontés à un double phénomène. Les valeurs de « immobilisations » augmentent ainsi que les revenus qui en découlent. Aussi les différenciations augmentent considérablement en ce qui concerne les revenus du travail ; les salaires des plus aisés (à la fois les 10% les plus riches ainsi que les 0,01% les plus élevés) ont explosé ces dernières années. Du point de vue des politiques de distribution, il ya deux solutions à ce problème : la réglementation des revenus salariaux et du travail ainsi qu’une fiscalité du patrimoine et des revenus des actifs.
[7] Cf. Emmanuel Saez (UC Berkeley), Gabriel Zucman (LSE et UC Berkeley), The Distribution of US Wealth, Capital Income and Returns since 1913.  Mars 2014.
[8] La définition de l’anatomie économique des classes dans les pays capitalistes développés sur la base de la critique de l’économie politique reste une tâche importante à laquelle la gauche socialiste devra s’attaquer à l’avenir même si sa réalisation nécessite des ressources adéquates en termes de temps et d’argent (cf . Bischoff et al. 1982).

Bibliographie
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Saez, Emmanuel (2013): Striking it Richer: The Evolution of Top Incomes in the United States (updated with 2012 preliminary estimates).


Texte original publié dans la revue allemande Sozialismus, 7-8 juin 2014

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