C’est un Juncker plus décontracté que d’habitude qui est monté sur scène dans l’auditorium de Strasbourg pour décerner un discours très optimiste sur l’état de l’Union. Il souhaitait aller bien plus loin que les estimations contenues dans le dernier bulletin de la BCE.
Dans ce dernier, la situation économique est décrite avec bien plus de précautions. Il est vrai que dans le contexte global du deuxième quart de l’année 2017, semble apparaître une période de croissance constante. Cependant, les chercheurs à la BCE mettent en garde : « La situation économique positive actuelle pourrait mener à une plus forte reprise… mais le risque de chute de la croissance reste une possibilité. » En d’autres mots : ça dépend. De quoi ? De la qualité de la politique économique. Le déluge de liquidités n’est pas capable de relancer les mécanismes de l’économie réelle. Au mieux, il permet d’éviter ou de se distance de nouveaux effondrements possibles. Puisque c’est un phénomène inconnu nous ne savont pas combien de temps cela tiendra et qu’arrivera-t-il après l’inévitable, bien que pouvant être différé, assouplissement quantitatif (quantitative easing).
Mais l’exultation de Juncker n’est pas juste pour le show, elle permet au contraire de pouvoir avancer les nouveaux projets de gouvernance développés pendant ces années de crise. La reprise économique aidera un nouveau départ politique pour l’EU, a-t-il déclaré. Ce n’est pourtant pas vrai, si il entend promouvoir un renouveau politique démocratique. L’idée d’une Europe économique devenant politique est, comme David Mistrany le théorise dans sa théorie du fonctionnalisme, seulement possible dans un cadre non-démocratique encore plus éloigné des citoyens.
De démocratie à oligarchie
Junckler a affirmé hier que ce nouveau projet de gouvernance n’est que la suite du document des cinq présidents de 2015 et le plus récent Reflection Paper de la fin du mois de mai de cette année, émis par la Commission. Juncker a ainsi embrassé la proposition allemande de transformer le Mécanisme Européen de Stabilité en un Fond Monétaire Européen, équipé de pouvoirs encore plus invasifs et de conditions drastiques envers les économies des pays membres. Il n’a pas suivi le diktat de Berlin à la lettre puisqu’il ne souhaite pas confier le contrôle des budgets à ce nouvel organisme, ce que souhaitait vivement l’Allemagne mais qui aurait réduit les capacités de la Commission à ce sujet. Cependant, il a bien mis en avant les projets concoctés par le nouvel axe franco-allemand : le commissionnaire pour les affaires monétaires se transformera en un ministre des finances de la zone euro dans le but de contrôler les budgets nationaux, promouvoir des (contre)réformes et présider l’Eurogroupe (ou plutôt la coordination des ministres des finances et de l’économie des membres de la zone euro), il possédera sa propre dotation budgétaire. Le partage des risques entre pays membres de l’UE sera ainsi évité, au grand bonheur de l’Allemagne, puisqu’une autorité monocratique sera nommée pour empêcher un tel phénomène. Ceci constituera une nouvelle mesure de répression s’ajoutant au système de gouvernance technocratique en construction. En effet, une telle mesure et de telles transformations ne feront qu’augmenter les cadres anti-démocratiques et oligarchiques du système institutionnel sans aucun contrôle ou participation du Parlement Européen, seul organe élu. L’économiste indien Parag Khanna envisage un tel cadre dans son dernier livre, invitant les grands pays de ce monde et l’UE a abandonné la vraisemblance de démocratie une fois pour toute et embrasser « la technocratie directe » comme une forme de gouvernance et d’organisation de la société, prenant ainsi un grand pas en arrière de démocratie à oligarchie.
De façon cohérente, Jean-Claude Juncker a appelé à trouver une meilleur vitesse dans le processus de décision de l’UE, demandant l’introduction d’un vote majoritaire et non plus de l’unanimité des Etats membres, pour les problématiques importantes telles que la taxation mais potentiellement aussi d’autres sujets à l’avenir. Sachant très bien que substituer le vote de majorité à l’unanimité ne favorise pas toujours la préservation de ce qui existe, Juncker a très vite déclaré que cela ne nécessitait pas une modification des traités.
« Avançons, le vent en poupe »
Avant de terminer son discours, avec des mots qui nous rappellent des temps plus sombres : « Maintenant que le soleil brille… desserrons les nœuds de chaise et avançons le vent en poupe », et de recevoir les applaudissements de son public socialiste et libéral, Juncker n’a pas manqué de remercier l’Italie (suivi d’un tweet enthousiaste de Paolo Gentiloni) de sauver l’honneur de l’Europe à propos des migrants. Nous ne pouvions ne pas nous sentir honteux.
[1] Note: L’article a été publié le 14 septembre dans Il Manifesto avec le titre “La camicia di forza di Juncker”.Retrouver la video du discours :