Le secteur automobile européen – L’heure est venue de repenser la mobilité !

Tous les secteurs de l’économie ont subi l’impact de la crise du coronavirus, et la construction automobile ne fait ici pas exception. On dénombre 12 millions de travailleurs européens dans l’industrie automobile, soit directement en production, ou bien affectés à la fabrication des pièces détachées, et le secteur compte pour 7 % du PIB de l’Union

Tous les secteurs de l’économie ont subi l’impact de la crise du coronavirus, et la construction automobile ne fait ici pas exception. On dénombre 12 millions de travailleurs européens dans l’industrie automobile, soit directement en production, ou bien affectés à la fabrication des pièces détachées, et le secteur compte pour 7 % du PIB de l’Union européenne.[1] Si on considère l’emploi direct dans le secteur automobile par rapport au secteur industriel dans son ensemble à l’intérieur d’une sélection d’États membres de l’UE, on remarque le poids majeur de l’industrie automobile (voir diagramme ci-dessous).

L’indispensable restructuration du secteur aura donc des conséquences sur des millions de salariés, tandis qu’il faudra ici composer avec un lobby automobile très organisé. Au plus fort de la crise (25 mars 2020), l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) a appelé à suspendre temporairement l’édiction de normes d’émission de CO2 renforcées pour les voitures particulières, alors même que les transports représentent déjà un quart des émissions totales de CO2 de l’UE et qu’il s’agit du seul secteur de l’Union à afficher une croissance positive des émissions de CO2 ces dernières années.[2] Une transformation radicale de cette industrie est manifestement impérative. Si aucune mesure n’est prise, il nous sera impossible de freiner le réchauffement climatique, a fortiori de le stopper.

Part de l’emploi automobile direct dans l’UE, par pays (2017)

Source : Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) (modifié) ; données : Eurostat

Mais ce n’est pas seulement l’ACEA qui fait obstacle au renouveau de l’industrie automobile ; de nombreux employés sont également peu favorables au changement. Ainsi, le plus grand syndicat allemand, IG Metall, s’est plaint que le plan de relance du gouvernement annoncé le 3 juin 2020 ne comprenait que des primes d’achat pour les voitures électriques, mais aucune aide pour celles avec moteur à combustion.[3] Évidemment, IG Metall s’inquiète des pertes d’emplois potentielles. En Slovaquie, un pays fortement tributaire de la construction automobile, 40 % des emplois du secteur sont menacés par l’automatisation et la mobilité électrique, une menace qui pourrait amener les entreprises à accroître encore les pressions sur les employés et à dégrader davantage les conditions de travail.[4] En Slovaquie, au 1er juin 2020, aucune aide n’a été accordée au secteur automobile — bien que Volkswagen et Jaguar aient réclamé l’aide du gouvernement slovaque. La Hongrie est un autre pays qui, jusqu’à présent (au 1er juin), n’a accordé aucune aide directe à l’industrie automobile, proposant en revanche des garanties publiques pour les prêts ainsi que des aides financières pour le remboursement de ceux-ci. Le 26 mai 2020, la France a convenu d’un plan de sauvetage de 8 milliards d’euros pour les voitures électriques et celles avec moteur à combustion (incluant les primes de reprise), ainsi que d’un prêt supplémentaire de 5 milliards d’euros à Renault.[5]

Mais, même en retirant la crise sanitaire de l’équation, il faut se rappeler que l’industrie automobile est en crise dans le monde depuis plusieurs années et affiche des ventes en baisse.[6] L’industrie avait besoin d’une restructuration urgente déjà en amont de la pandémie : une transition vers des produits plus verts y était nécessaire dans l’intérêt à la fois de l’environnement et du maintien de l’emploi. Il existe une solution présentée comme « écologique » aux problèmes du secteur automobile, préconisée par les responsables politiques européens et le gouvernement allemand : la voiture électrique. À l’occasion de son grand plan de relance, la Commission européenne a avancé la proposition d’investir dans la recherche sur les batteries et de financer 1 million de bornes de recharge pour les voitures électriques dans l’UE.[7] Dans Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe, document publié le 10 mars 2020, la Commission européenne planifie de nouvelles alliances industrielles sectorielles tournées vers la recherche de pointe sur le modèle de l’actuelle Alliance européenne des batteries[8]. Mais la voiture électrique n’est pas aussi respectueuse du climat qu’on le dit : sa fabrication, en particulier pour la batterie et la carrosserie de la voiture, crée un énorme « sac à dos écologique » (empreinte écologique calculée, non en hectares globaux, mais en quantité de matériel naturel utilisé). Si on prend en compte le kilométrage total et le mix énergétique, les voitures électriques et les véhicules avec moteur à combustion n’affichent qu’un écart négligeable.[9] Pour améliorer l’impact environnemental global, indépendamment du type de véhicule, il fait sens de construire de petites voitures légères et économes en carburant, d’utiliser les véhicules aussi longtemps que possible et de transporter le plus de passagers possible.[10] Mais il ne faut pas oublier non plus que, quel que soit le modèle utilisé, électrique ou moteur à combustion, la congestion routière reste inévitable. Les voitures électriques n’apportent pas de réponse au manque d’espace dont souffrent nos villes. Ce dont nous avons besoin, c’est de développer les alternatives à la voiture, telles que les transports publics, les voyages en train longue distance, le vélo et, enfin, le transport de marchandises par chemin de fer. Repenser le transport en ces termes pourrait permettre de créer des milliers d’emplois sur de multiples sites de production à travers l’UE. En Allemagne, par exemple, cela pourrait signifier env. 100 000 emplois dans la construction de véhicules ferroviaires, dans la fabrication de wagons à marchandises ou pour passagers, ainsi que dans les services de maintenance. Ce sont encore 100 000 emplois supplémentaires qui pourraient être créés pour le développement et l’expansion de la production de systèmes de bus électriques, pour des services de minibus ou de bus à la demande, enfin pour des véhicules commerciaux spécialisés, de même que 100 000 nouveaux emplois dans la production de vélos-cargos et de vélos électriques.[11]

En d’autres termes, nous avons besoin d’une refonte complète du secteur automobile à partir d’une perspective de mobilité durable. Pour cela, des dispositions légales devront être créées, et l’État devra également veiller à ce qu’un financement approprié soit disponible pour le développement des transports publics et des voyages en train longue distance. Dans cette perspective, le programme d’urgence lié au coronavirus mis en place par le gouvernement allemand offre un soutien trop maigre aux chemins de fer allemands. Un Green New Deal de gauche ne doit donc pas seulement se préoccuper d’une mutation sociale et écologique rapide des modèles de voitures ; nous devons également, à moyen terme, œuvrer à la transition de l’industrie automobile vers un secteur qui favorise une mobilité plus respectueuse du climat, comme par exemple la production de véhicules pour les transports publics et ferroviaires.[13] Dans ce but, il est nécessaire que les initiatives pour le climat et les syndicats s’unissent, y compris à l’échelle européenne, de sorte que les sites manufacturiers de l’UE n’en viennent pas à se trouver en situation de concurrence les uns avec les autres. Des alliances utiles commencent déjà à se dessiner : par exemple, Students for Future soutient la lutte du syndicat allemand ver.di en faveur de meilleures conditions d’emploi pour les travailleurs des transports publics. Ce n’est peut-être qu’un petit pas dans la bonne direction, mais c’est un début.

Notes

  1. Conseil sectoriel pour l’emploi et les compétences à l’échelle de l’Union européenne pour l’industrie automobile
  2. Agence européenne pour l’environnement, émissions de gaz à effet de serre par secteur agrégé (08/06/20). 
  3. Tagesschau, Thomas Kreutzmann : Die Wut auf die SPD in der Autokrise, 07/06/20
  4. Marianne Arens, ‘Changes in the car industry threaten Slovakian workers’, 13/02/2020, in: World Socialist Website.
  5. Latham & Watkins : PUBLIC FINANCE SUPPORT (STATE AID) GRANTED TO THE AUTOMOTIVE SECTOR
  6. Stephan Krull, ‘Autokrieg – Krise und Zukunft einer Schlüsselindustrie’, Sozialismus, 5/2017.
  7. COM, L’heure de l’Europe: réparer les dommages et préparer l’avenir pour la prochaine génération, 27/05/2020, COM(2020) 456.
  8. KOM, Eine neue Industriestrategie für Europa, Brussels, 10/03/2020, COM(2020) 102.
  9. Electric vehicles from life cycle and circular economy perspectives, European Environment Agency, Report No. 13/2018, 57. 
  10. PowerShift, Merle Groneweg et Laura Weis : Weniger Autos, mehr globale Gerechtigkeit  
  11. Zeitschrift LuXemburg, Mario Candeias : « Der Mietendeckel der Mobilität », Zeitschrift Luxemburg, May 2020
  12. Die Linke., Bernd Riexinger : Mobilitätswende und sozial-ökologische Transformation der Autoindustrie, 05/05/2020
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