Un regard rétrospectif sur les décennies passées laisse voir un monde d’où la guerre pas un seul jour n’a été absente, ici ou là sur la planète. Jamais cependant encore, depuis la fin de la guerre froide, nous n’avons été aussi près d’un affrontement armé direct entre la Fédération de Russie et les États-Unis, les deux premières puissances nucléaires. Ce à quoi nous assistons actuellement est l’anéantissement de tout le capital politique accumulé depuis la chute du mur de Berlin.
Il y avait eu des signes avant-coureurs inquiétants pourtant, tels la mise en suspens par les États-Unis et la Russie du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) sur fond d’accusations réciproques, l’expansion de l’OTAN, le refus par une majorité des pays membres de l’UE y compris la Suède et la Finlande de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, … Peut-être avons-nous prêté une attention trop faible à tous ces signes.
Pourtant, même dans ce contexte, nous avons une véritable possibilité de modifier le cap.
Nous tombons en particulier d’accord sur un certain nombre de sujets, la reconstruction écologique et la lutte en faveur de la justice sociale, le combat contre la précarisation et celui pour l’égalité entre les sexes, autant de thèmes qui se trouvent marginalisés aujourd’hui par la guerre, comme le faisait remarquer récemment le secrétaire général des Nations unies.
Que peut, ou que doit, faire la gauche ?
transform! europe considère qu’il est important de s’entendre spécifiquement sur quatre idées stratégiques :
- L’effort de paix doit encore plus clairement tenir la place centrale. Cependant, quand bien même les armes se tairaient — ce qui est notre espoir collectif, et ce pour quoi nous nous battons — ce serait là au mieux une trêve débouchant sur un gel du conflit, tandis que se maintiendraient les contradictions fondamentales pesant sur les structures de sécurité européennes et mondiales. Dit autrement : quelle que soit la solution politique provisoire apportée au conflit russo-ukrainien, une paix durable doit s’inscrire dans une nouvelle architecture de sécurité européenne, voire mondiale. Cela passe également par une nouvelle vision de l’Europe et du rôle de l’UE, laquelle endosse de façon croissante le rôle de pilier européen de l’OTAN.
- Si prévaut ce constat, nous avons alors besoin de débattre en profondeur entre nos partis, les autres forces politiques et les mouvements qui nous sont proches sur une série de problèmes politiques nouveaux et ardus.
Par exemple, après la fin de la guerre, le peuple ukrainien continuera d’exister, la Russie continuera d’être une puissance européenne de premier plan, et l’Europe devra traiter cette situation. Voulons-nous une Union européenne sans cesse en équilibre précaire et au bord de basculer dans la guerre ? Si nous répondons non, à quoi doit ressembler un système de sécurité en Europe autonome et résilient face aux crises, alors que nous assistons à une perte totale de confiance entre les forces concernées ?
Nous ne sommes plus en 1973, lorsque 35 chefs d’État se rencontraient à Helsinki — nous sommes en 1968, date de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les tanks du pacte de Varsovie. Dans la perspective actuelle, un nouvel ordre de sécurité européen équilibré paraît difficile à obtenir. Mais par ailleurs, ce sont seulement cinq années qui ont séparé l’invasion de Prague de la conférence d’Helsinki.
Il semblerait que la Commission européenne et les gouvernements de l’UE aient complètement perdu de vue l’idée d’une sécurité européenne à long terme dès l’instant où ils ont adhéré à la stratégie de confrontation qui est celle de Joe Biden.
Dès lors, il incombe à la gauche d’élaborer une stratégie réaliste en vue d’une nouvelle détente européenne, une réédition de la politique des années 70 à l’Est qui s’appuie à la fois sur des traités internationaux pour le contrôle et la réduction des armements, sur le rétablissement de la confiance et sur la reconstruction des liens économiques et culturels. Un instrument au service de cette ambition peut être l’effort en faveur de zones exemptes d’armes nucléaires, avec extension de ces zones à tout le continent de l’Atlantique à l’Oural.
Quelque opinion que nous ayons concernant qui, et dans quelle mesure, porte la responsabilité de la situation présente, nous nous retrouvons dans un état de guerre économique planétaire générateur d’une fragmentation de l’économie mondiale, d’un démantèlement des chaînes de valeur ainsi que d’une interruption de l’approvisionnement en nourriture et en énergie. Cela a des conséquences très graves sur l’économie mondiale comme sur les sociétés européennes. Il nous faut nous préparer à défendre les droits sociaux des nôtres dans ce contexte extrême. Mais le plus effrayant, par-dessus tout, c’est que la rupture des liens de dépendance existants prépare le terrain pour la guerre, laquelle serait impensable dans des conditions d’interrelations économiques et culturelles comme celles développées ces dernières décennies. Nous ne saurons modeler cependant les étapes menant à une nouvelle détente du jour au lendemain : cela passera notamment par des recherches et du débat. - Nous devons accorder une place majeure au fait que la gauche radicale et plusieurs partis progressistes participent à des coalitions gouvernementales dans divers pays. En plus d’ouvrir de nouvelles possibilités, cela représente une responsabilité dont nous devons explicitement débattre lors du Forum européen des forces de gauche, vertes et progressistes prévu du 21 au 23 octobre 2022 à Athènes.
- Il nous faut creuser la dialectique entre les mouvements sociaux et nos partis politiques, ce qui est une des missions centrales de transform! europe de toute façon. Les mouvements sont parfois plus à même de porter des demandes radicales. Nous devrions leur accorder un espace où ils puissent s’exprimer en autonomie, et aussi les écouter.
Par ailleurs, notre travail en tant que partis consiste à adopter des stratégies visant à modifier l’équilibre politique des forces et qui sont nécessaires pour aboutir à des transformations. Cette absolue mission nous incombe. Par conséquent, il y aura trois dialogues : le premier entre mouvements, auxquels nous devrions fournir un espace à cette fin ; un autre entre partis progressistes et de la gauche radicale ; le troisième entre partis et mouvements. Une telle mise en œuvre ne sera pas facile.
Pour autant, c’est aussi là une mise à l’épreuve et un enjeu politique qu’il nous faut accepter.