Non pas à travers le symbole de son parti, volontairement dominé par la flamme tricolore historique, mais à travers les liens qu’elle souligne à plusieurs reprises avec toutes les organisations similaires qui circulent en Europe, de celle de Marine Le Pen à celle de VOX en Espagne, en passant par les gouvernements Hongrois et Polonais. Ce n’est pas que le total des voix de la droite ait augmenté, mais il est tout de même dangereux que Meloni ait absorbé près de cinq millions de voix de ceux et celles qui, il y a seulement cinq ans, avaient voté pour la Lega ou Berlusconi, dont les deux forces sont désormais devenues marginales.
Meloni a maintenant gagné et le président Mattarella est obligé de lui confier la tâche de former le prochain gouvernement, dont les politiques ne seront cependant pas, sur le fond, très différentes de celles de Draghi. La mondialisation néolibérale n’est plus un choix laissé aux gouvernements nationaux ; elle a été décidée depuis longtemps par les grands groupes financiers sur le marché international, et les gouvernements nationaux ne peuvent décider que des détails. Meloni a de toute façon déjà déclaré sa fidélité à l’OTAN et Draghi travaille maintenant avec elle pour tirer le meilleur parti de l’UE. Elle tentera également de faire croire à un tournant politique. Le pire, c’est que son gouvernement aura un impact dans le domaine des droits civils : la persécution des migrant.es, les droits des femmes, l’avortement, les droits des LBGQT, l’éducation, etc.
Mais l’aspect le plus inquiétant est le mépris de la démocratie, l’illusion transmise aux victimes du système que si le "bavardage" de la politique est éliminé et que nous mettons notre confiance dans une main ferme, tous les problèmes seront résolus.
J’insiste sur cet aspect de notre futur gouvernement parce que nous ne pouvons pas analyser la pensée des Italien.nes si nous nous concentrons uniquement sur l’antifascisme traditionnel, en négligeant le noyau de classe du contexte politique actuel, une erreur commise dans la campagne électorale du PD (qui a été le vrai perdant et a conduit à l’annonce par Letta de sa démission), soucieux de ne pas effrayer les groupes centristes avec lesquels il a cherché à s’allier jusqu’au bout – et donc à rompre avec le Movimento 5 Stelle qui, en revanche, a récupéré une importante partie de son grand électorat d’il y a cinq ans, atteignant la troisième place avec 15,3 %, juste un peu en dessous du PD. Il a surtout gagné dans le Sud, sur la base de son excellent programme social. Ces dernières années, ce mouvement, né comme une protestation "contre la politique" et se définissant comme étant "ni de droite ni de gauche", a fini par gouverner avec toutes les forces, mais il a vécu une expérience tourmentée, qui a conduit à sa maturation et à la marginalisation de son aile la plus ambiguë. Aujourd’hui, il est clairement aligné – bien qu’avec une culture qui n’est certainement pas celle de la gauche traditionnelle – avec notre front. Ce n’est pas un hasard s’il a recueilli de très nombreux votes de ceux et celles qui voulaient condamner le choix du PD de ne pas les inclure dans le "large front antifasciste".
Surtout, il y a maintenant un objectif urgent, et aussi possible : la statistique la plus significative de ces élections, à laquelle personne n’a prêté attention, est que près de 40 % des Italien.nes (9 % de plus que la dernière fois) ne se sont pas rendu.es aux urnes. Surtout les jeunes. Non pas parce qu’ielles sont dépolitisé.es mais seulement parce qu’ils ne s’intéressent pas à un débat politique institutionnel aussi éloigné de ce qu’ielles considèrent comme important : le changement historique imminent dû à la menace écologique, mais pas seulement, dont aucun ministre ne s’occupe. (On a calculé que seulement 0,5 % du temps des discours de la campagne électorale a été consacré à cette question).
Reconstruire la gauche italienne est possible, mais cela prendra beaucoup de temps, et ne consiste pas à copier le projet "Mélenchoniste", car il ne suffit pas de rassembler des petits morceaux des partis battus comme cela a été fait en France. (Cela aurait-il été possible si la France n’avait pas connu la secousse équivoque mais puissante de la rébellion des Gilets jaunes ?) Il est bien possible de relancer une gauche même en apportant avec elle une partie de l’héritage culturel et de l’expérience qui ne doit pas être abandonnée. Mais il faut le faire à partir de la société, en reconstruisant un réseau de communautés et de projets, sans imaginer que nous pouvons revenir aux beaux jours de l’après-guerre, lorsque le compromis social était possible et permettait une redistribution relative des ressources et des réformes importantes qui se sont maintenant érodées partout (comme en Suède). Maintenant, soit nous nous attaquons au cœur même de notre système de production, de consommation et de vie – ce qui nécessite une véritable révolution – soit la voie sera ouverte à la violence que produit inévitablement une injustice insoutenable. C’est le principal terrain sur lequel nous devrons nous battre. Les 18 député.es et sénateur.trices que nous avons maintenant grâce à la liste Verdi-Sinistra Italiana nous aideront certainement, mais la tâche principale est de reconquérir la société.
L’Unione Popolare (composée de Rifondazione Comunista, Potere al Popolo, Dema, Manifesta et d’autres groupes) n’a pas réussi à entrer au Parlement, comme cela était prévisible en raison de la terrible loi électorale qui a rendu nécessaires les alliances dites techniques. (Il faut parfois accepter un petit compromis, qui dans cette élection en valait la peine, car il n’a exigé de Sinistra Italiana aucune concession politique. Sinon, la gauche aurait complètement disparu du Parlement, ce qui aurait eu un impact symbolique très négatif).
La "révolution obligatoire" désormais à l’ordre du jour s’appelle la "décroissance" – qui n’est pas, comme nos dinosaures voudraient nous le faire croire, un retour à un Moyen Âge d’austérité, mais plutôt la conquête d’un autre type de bonheur. Ainsi, un professeur de l’Université de Tokyo a récemment publié un livre intitulé Capital in the Anthropocene, qui parle précisément de ce que pourrait être un bonheur qui ne soit pas fondé sur la consommation obsessionnelle de marchandises superflues. Ce livre est devenu un best-seller au Japon, battant tous les records avec 500 000 exemplaires vendus. Un sondage a montré que la quasi-totalité de ses lecteur.rices sont des jeunes.