L’Europe continue d’être embourbée dans la crise. Depuis la grande crise de 2007, la mollesse de la croissance économique a entraîné la perte de millions de postes de travail, le gonflement de l’endettement public et privé, la progression des inégalités dans la distribution des revenus et des richesses dans les pays membres, ainsi que des différences grandissantes entre les niveaux de développement des pays membres.
Entretemps, la crise s’est propagée aux systèmes des partis politiques nationaux et à l’espace politique : les partis euro-critiques et nationalistes gagnent du terrain. En Grande Bretagne, l’UKIP, parti populiste de droite, contribue à faire monter la pression en faveur de la sortie du pays de l’UE. A l’exception de l’Allemagne, les pays de la zone Euro voient s’accélérer la chute de leur développement industriel et de leur croissance économique. Les mauvaises évolutions économiques en Europe et dans la zone Euro, ainsi que le risqué important de basculer dans la récession, mettent de plus en plus fortement en question l’existence de l’Union Européenne. Les réformes structurelles néolibérales — flexibilisation des marchés du travail et démontage continu des conquêtes sociales — renforcent les tendances à la stagnation économique et aiguisent les conflits sociaux. Elles n’apportent aucune réponse aux défis écologiques pressants.
Dans la création industrielle et dans le commerce mondial, la part des Etats européens a très nettement reculé. Cela se traduit par le taux extrêmement élevé du chômage dans l’espace économique et monétaire européen. De même, la perte en valeur et en substance subie par les infrastructures publiques et le capital privé, ainsi que la diminution des investissements directs sont le reflet de la restructuration globale des forces actives au sein des chaînes de création de valeur. Les investissements à l’étranger ont comme but d’ouvrir des marchés stratégiques même si la plus grande partie des investissements continue de s’effectuer au niveau national. Il est grand temps de libérer les potentiels de développement du marché intra-européen. A cet effet, il faut absolument changer de politique et rompre radicalement avec les réformes structurelles néolibérales.
Un changement politique en faveur d’investissements dans les infrastructures, dans la production soutenable et dans la création d’emplois de qualité est une nécessité urgente !
Or, la politique européenne fait du surplace. Dans le budget de l’UE, les chefs des gouvernements du Conseil Européen restent bloqués sur leurs positions : c’est surtout la Grande-Bretagne qui s’oppose à tout élargissement des moyens financiers pour le budget de 2015. L’Allemagne se refuse à mettre à disposition les milliards inutilisés présents dans le Fonds de sauvetage MES. De ce fait, le financement des investissements urgents et une lutte énergique contre le chômage de masse se voient davantage restreints.
Malgré ces circonstances défavorables, il est urgent que la Commission Européenne fasse suivre par des actes ses paroles sur la stimulation de la croissance et le renforcement de l’industrie. Il est important de réduire les inégalités de revenus et de biens, de mettre en place une régulation de qualité nouvelle. Par des investissements publics dans l’espace économique européen, on pourrait abolir les asymétries actuelles et peser en faveur de nouvelles structures économiques. Il est nécessaire de vaincre la crise en Europe en utilisant des moyens socialement et écologiquement durables. A cet effet, il faut améliorer l’implication de tous les pays membres dans le « Réseau productif Europe », construire des réseaux industriels en Europe et les orienter vers de nouveaux objectifs de développement.
Une politique industrielle pan-européenne pourrait réduire les déséquilibres entre les Etats et les régions de l’UE, en concentrant ses initiatives sur les régions les plus faibles. La production industrielle de l’UE se concentre essentiellement en Allemagne (30%), en Italie, en France, en Espagne et en Grande- Bretagne (environ 40% pour l’ensemble de ces pays). Les 30% restants se répartissent entre les autres 23 Etats membres de l’UE.
La situation actuelle démontre l’incapacité politique à organiser un développement économique, qui assure l’existence de la majorité de la population au moyen d’un travail salarié de qualité et des prestations sociales d’un montant suffisant.
Nous assistons quotidiennement aux dévastations néolibérales : le chômage en Europe bat constamment de nouveaux records ; dans les pays frappés par la crise, le chômage des jeunes dénie à une génération entière le droit d’aspirer à un avenir humainement digne. Les taux les plus élevés se trouvent en Espagne (53,5%), en Grèce (49,8%), en Croatie (45,5%) et en Italie (43,9%). Plus d’un quart des habitants de l’Europe (125 millions) vit dans la pauvreté ou sous la menace de la pauvreté. Même pas la moitié des Européens occupent un emploi à durée indéterminée et payé au taux légal. La précarité fraie son chemin à travers les sociétés.
Cela mène à un mécontentement social croissant et justifié. Toutefois, dans la crise, la résistance grandit elle aussi. En Grèce le succès électoral de Syriza a ouvert la possibilité d’un changement économique et politique du pays, mais aussi de l’ensemble de la zone Euro.
La gestion de la crise appliquée jusqu’alors par la Troïka – formée par la BCE, la Commission Européenne et le FMI – n’a pas résolu les problèmes sociaux et économiques, mais, par son orientation unilatérale sur l’austérité et sur la stabilité monétaire, elle les a fortement aggravés.
La crise de la dette des Etats concernés a des causes politiques et économiques et n’est pas le résultat d’une politique irresponsable en matière fiscale et de dépenses publiques. Cela ressort nettement de la lecture de l’évolution des niveaux d’endettement, qui sont montés en flèche à partir de 2008, notamment suite aux « sauvetages des banques. La crise de la dette ne pourra donc être résolue que par une amélioration des bases économiques et par un changement politique fondamental. Les politiques monétaires et financières ne suffiront pas à elles seules à surmonter la crise.
Depuis des années, les économies nationales de l’UE sont frappées par la progression de la désindustrialisation que la crise actuelle aggrave avec parfois des répercussions tragiques. Ce n’est pas seulement la Grèce qui a souffert de l’effondrement de chaînes de création de valeurs et de la disparition d’industries et de réseaux productifs. Le déclin du secteur industriel de transformation rétrécit la base de la création de valeurs, détruit les employs qualifiés et conduit à la dépendance croissante à l’égard des importations. Les promesses qui ont accompagné le renforcement du secteur des services et la libéralisation du secteur financier n’ont pas été tenues.
Pour rompre avec cette tendance fatale, perceptible depuis un certain temps déjà, la politique monétaire doit être accompagnée par une politique budgétaire qui stimule la demande. Ce n’est qu’en renforçant les investissements publics et la demande que l’on peut compter sur une réanimation de la vie économique, la politique monétaire conservant son efficacité. En outre, un effet de soutien pourrait être exercé par une évolution salariale qui, au niveau de la zone Euro, contribuerait à réorienter le taux d’inflation dans la direction voulue, à savoir la stabilisation des prix. La BCE tente, par sa politique monétaire expansive, de s’opposer à une spirale déflationniste.
Par le renforcement de la demande dans toute l’Europe, le passage vers une politique structurelle, sociale et écologiquement durable peut réussir.
L’Europe a besoin d’un renouvellement de sa base industrielle et d’une nouvelle division du travail. En ayant recours aux technologies modernes (Industrie 4.0) et aux chaînes de création de valeurs du futur, il faudra faire émerger au sein de notre continent une transformation structurelle sociale et écologique, qui mettra fin au chômage actuel et offrira de bonnes conditions de travail, notamment aux generations futures. Cet enjeu est en cours de discussion, surtout en Europe du Sud, sous les concepts « reconstruction et transformation productives ». Par endroits, il est possible de s’appuyer sur des traditions et des structures économiques déjà existantes.
Depuis 2008, la production industrielle a reculé presque partout en Europe et la polarisation s’est accrue. A l’exception de la Pologne, où elle a augmenté de 18% entre 2008 et 2013, ce n’est qu’en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Irlande que la production industrielle a regagné son niveau d’avant la crise.
Dans ce contexte, la Commission Européenne s’est fixée comme objectif de revenir, dans les Etats membres, aux 20% comme part de l’industrie dans la creation globale de valeur. Juncker, le Président de la Commission européenne, a présenté un programme d’investissement stimulé par des contributions publiques et s’élevant à 315 milliards d’Euros jusqu’en 2017 qui se veut une contribution à la sortie de crise. Ces fonds devraient provenir en majeure partie de l’économie privée, les critères requis pour les projets n’étant pas encore nettement définis. La Confédération Européenne des Syndicats (CES), qui a présenté également une proposition de plan de reconstruction européenne, est sceptique. Car, même si cette somme peut être réunie, elle ne compenserait que 40% de la réduction subie en matière d’investissements depuis le début de crise. C’est pourquoi la CES estime qu’il est nécessaire d’augmenter le montant de ces investissements de plus du double chaque année, non seulement jusqu’en 2017, mais jusqu’en 2020.
La liste des projets à soutenir que les Etats membres ont présentés à Bruxelles laisse sceptique. Ni la dimension sociale et écologique, ni la dimension européenne ne semblent avoir été prises en considération pour le choix de ces projets. Les egoisms économiques, et surtout nationaux, prédominent largement. Neuf milliards d’Euros pour des autoroutes, trois milliards d’Euros pour l’aéroport de Francfort, mais rien pour le rail et des miettes pour la mise en réseau des modes de transport.
Compte tenu des risques sociaux et économiques actuels, les initiatives politiques de la Commission Européenne sont totalement insuffisantes. Le plan Juncker ne s’attaque pas aux causes de la faiblesse des ’investissements, ni n’incite à changer l’orientation de la politique économique actuelle.
Ce qu’il faut c’est une politique volontariste active de réindustrialisation et une politique d’investissements publics qui arrête et inverse la tendance d’effondrement des infrastructures publiques, visible dans de nombreux Etats de l’UE. Un montant égal à 2% du PIB de l’UE, proposé également par des syndicats européens, permettrait de donner une impulsion qui aurait également pour effet de sortir l’économie de de sa stagnation actuelle.
Une nouvelle politique industrielle, s’étendant à l’ensemble de l’UE, pourrait faire reculer les privatisations massives des dernières décennies. Les nouvelles activités pourraient mettre au premier plan des biens publics tels que le savoir, la qualité de vie et de l’environnement, l’intégration sociale et la cohésion territoriale. Une nouvelle politique industrielle peut devenir un instrument central servant à initier la transformation écologique, qui réduira l’utilisation des ressources nonrenouvelables, qui développera les sources d’énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, qui protègera les écosystèmes, les paysages et la biodiversité, qui abaissera les émissions de gaz carbonique et autres gaz à effet de serre ainsi que la production de déchets, qui étendra les pratiques de recyclage et s’opposera aux stratégies actuelles de l’industrie agro-alimentaire, y compris l’appropriation incontrôlée des droits de pêche et d’exploitation des sols. Ce qu’il faut, c’est une combinaison entre les activités directes sous responsabilité publique ; celle-ci doit aussi intervenir pour la protection de l’environnement, ainsi qu’une régulation appropriée des activités privées, qui comprend la taxation de l’impact environnemental, des incitations positives, la pratique d’acquisitions publiques et l’organisation de nouveaux marchés.
Un paquet d’investissements européens pourrait entraîner l’abandon de la politique d’austérité en Europe. Ce renversement de tendance signifierait de sortir progressivement de la stagnation économique et de commencer à réduire l’énorme chômage de masse qui sévit dans la plupart des pays membres de l’UE.
En l’absence de net changement de l’orientation actuellement suivie par l’UE et de politique de renforcement de l’industrie et de la vie économique, nous sommes menacés de la poursuite d’une évolution qui met en danger la cohésion sociale, qui continue à détériorer l’image de l’UE et qui, à long terme, met en question son existence même. Pour le bien de la majorité de sa population, l’Union Européenne se trouve placée devant l’exigence de s’attaquer activement à cette crise qui la frappe ainsi que ses Etats membres.
Les conditions nécessaires pour l’application d’une politique économique et industrielle de nature progressiste, dont les critères et les priorités devront faire l’objet de discussions publiques, sont les suivantes :
- Mettre fin à la politique d’austérité, dont les conséquences sociales sont désastreuses, notamment dans les pays économiquement affaiblis, et qui n’offre pas la moindre base pour surmonter la crise de la dette
- Mettre fin à la politique des privatisations, qui est pratiquée avec une radicalité toute particulière dans les Etats en crise, qui continue à détruire les emplois et qui, à long terme, sape la capacité publique à agir
Les éléments et objectifs essentiels d’une politique industrielle européenne de nature progressiste doivent être les suivants :
- Renforcement du secteur industriel, sur l’ensemble de l’UE et pas seulement dans les centres industriels traditionnels.
- Limitation des déséquilibres intra-européens, y compris des balances commerciales. Ces déséquilibres ont entraîné la crise actuelle et empêchent de la surmonter.
- Démocratisation des prises de décisions, tant au niveau macroéconomique que microéconomique. Les différents acteurs devront être impliqués beaucoup plus fortement qu’auparavant au plan national, régional et de l’entreprise dans la conception et l’application des initiatives de l’UE.
- Création d’emplois à durée indéterminée permettant de vivre de manière autonome, sans connaître la pauvreté.
- Revalorisation du facteur « travail », au moyen d’offres permanentes de qualifications et de possibilités d’accéder à l’emploi pour la jeunesse qui, souvent, est hautement qualifiée.
- Durabilité écologique, notamment dans le domaine de l’efficacité énergétique et des ressources.
- Développement de programmes de recherche et de technologies (Industrie 4.0), indépendamment des exigences de rentabilité financière afin de promouvoir la transformation productive en Europe.
- Mise à disposition de crédits et mobilisation d’investissements au bénéfice d’une reconstruction productive, durable, au plan européen, national et régional.
L’Europe doit regagner la confiance de ses citoyennes et citoyens, au lieu de s’installer dans la stagnation, le chômage et l’absence d’avenir pour les jeunes.
First signatories of the appeal “Renewing Europe: For a common social and ecological industrial policy in Europe”
Elmar Altvater (Professor em. of Political Science at the Free University Berlin, Germany)
Bernd Belina (Professor of Economics, Goethe University Frankfurt, Germany)
Heinz Bierbaum (Member of the Saarland state parliament, Germany)
Joachim Bischoff (former Member of the Hamburg state parliament, editor of SOZIALISMUS magazine, Germany)
Frédéric Bourges (trade unionist, France)
Costis Chadjimichalis (Professor em. at Harokopeio University Athens, member of the board of the Nicos Poulantzas Institute, Greece)
Alexis Charitsis (Member of the Central Committee of SYRIZA, coordinator of the energy department of SYRIZA, Greece)
Gabriel Colletis (Professor of Economics at the University of Toulouse, France)
Bernard Devert (trade unionist, France)
Cornelia Ernst (Member of the European Parliament, DIE LINKE, GUE/NGL, Germany)
Trevor Evans (Professor of Economics at the Berlin School of Economics and Law, EuroMemo Group, Germany)
Marica Frangakis (economist, Member of the Board of the Nicos Poulantzas Institute, EuroMemo Group, Greece)
Matteo Gaddi (economist, Punto Rosso, Italy)
Francesco Garibaldo (Industrial Sociologist, Director of the Claudio Sabattini Foundation, Italy)
Alberto Garzon (economist, Member of the Congress of Deputies, Isquierda Unida, Spain)
Elisabeth Gauthier (transform! europe, France)
Thomas Händel (Member of the European Parliament, Chairman of the EP Committee of Employment and Social Affairs, Germany)
Liem Hoang Ngoc (former Member of the European Parliament, France)
Johannes Jäger (Professor of Economics and head of the Economics Department at the University of Applied Sciences in Vienna – bfi, Austria)
Jürgen Klute (former Member of the European Parliament, Germany)
Pierre Laurent (Chairman of the European Left Party, General Secretary of the French Communist Party, France)
Patrick Le Hyaric (Member of the European Parliament, Parti Communiste Francais, GUE/NGL, chief editor of l’Humanité newspaper, France)
Paloma López Bermejo (Member of the European Parliament, Isquierda Unida, GUE/NGL, Spain)
Francesco Louça (Professor of Economics at the Instituto Superior Economia e Gestão, Lisbon, Portugal)
Birgit Mahnkopf (Professor of European Social Policy at the Berlin School of Economics and Law, Germany)
Marisa Matias (Member of the European Parliament, Bloco de Esquerda, economic affairs speaker of the GUE/NGL group, Portugal)
Mariana Mortagua (Member of the Assembly of the Republic, Bloco de Esquerda, Portugal)
Alain Obadia (President of the Gabriel Péri Foundation, member of the Economic, Social and Environmental Council, France)
Dimitrios Papadimoulis (Member and Vice-President of the European Parliament, SYRIZA, GUE/NGL, Greece)
Heikki Patomäki (Professor of World Politics at the University of Helsinki, Finland)
Mario Pianta (Professor of Economics at the University of Urbino, Italy)
Christian Pilichowsky (trade unionist, France)
Viggo Plum (Professor of Economics at Roskilde University, Denmark)
Albert Recio (Professor of Sociology at the Universitad Autonoma de Barcelona, Spain)
Bernd Riexinger (Chairman of DIE LINKE, Germany)
Axel Troost (Member of the German Bundestag, vice-chairman of DIE LINKE, Germany)
Marie Christine Vergiat (Member of the European Parliament, Front de Gauche, GUE/NGL, France)
Harald Wolf (Member of the Berlin House of Representatives, former Berlin Senator for Economic Affairs, Germany)
Gabi Zimmer (Member of the European Parliament and Chairwoman of the GUE/NGL, Germany)