La crise politique qui hante l’Europe, 60 après la signature du Traité de Rome semble partie pour rester et résiste à toute interprétation facile. Voici le discours à l’événement «Une Europe des Peuples et par les Peuples» à l’Université de Rome durant la mobilisation à l’occasion de l’anniversaire du Traité de Rome.
L’Europe existe dans un contexte global qui nous est réapparu soudainement quand 1,5 million de réfugiés sont venus chercher refuge, refuge que l’Union Européenne, l’un des plus centre de puissance et de richesse les plus important au monde est peu disposé à fournir. Quel paradoxe ! Quelle honte… Pour les Européens, il est nécessaire de comprendre que cette crise ne consiste pas en savoir comment 500 millions de personnes accueillent 1,5 million d’autres mais plutôt comment ces 500 millions qui bénéficient de conditions privilégiés à ce jour, trouveront leur place dans ce monde qui sera bientôt peuplé de 10 milliards d’individus, ce monde qui sera celui de nos enfants et petits enfants.
Le prochain siècle ne sera ni américain comme semble le croire Donal Trump, ni européen. L’Europe est très mal préparée pour faire face aux transformations de notre monde. Cela a été démontré très honteusement par le traité signé avec la Turquie et bientôt avec la Libye pour écarter les réfugiés hors du sol européen. Cependant, les défis ne sont pas seulement externes. Les sociétés européennes vivent des contradictions en leur sein. Le Brexit a montré la colère des peuples à l’égard de l’érosion de l’Etat Providence et la destruction d’une perspective optimiste pour toute une génération qui va subir les contre-réformes et l’austérité des trente dernières années de néolibéralisme. L’UE est devenue une cible des mouvements populistes et nationalistes d’extrême droite, non seulement parce qu’ils sont de cyniques et vils personnages mais également parce que l’UE n’a pas délivré ce qu’elle avait promis.
C’est pourquoi le 60 ème anniversaire du Traité de Rome ne doit pas être une occasion de se pavaner mais plutôt de se livrer à une autocritique sévère et attentive. Cela n’est bien entendu pas venu à l’idée des pontes de l’UE. Je n’ai pas besoin de rappeler ici la dédaigneuse manière dont Jeroen Dijselbloem s’est exprimé sur les peuples de l’Europe du Sud [1]. Permettez moi juste une remarque : cette déclaration raciste et sexiste ne vient pas de Donal Trump ou d’un autre populiste réactionnaire notoire, elle est venue d’un social-démocrate, un ministre des finances qui s’avère avoir appartenu à l’Eurogroup pendant les négociations avec la Grèce ! Quel Europe espérait de ces gens là ?
Le président de la Commission Européenne, Mr Juncker est certainement une personne d’un autre calibre. Au début du mois de Mars, on au nom de la Commission Européenne il a publié un Livre Blanc sur le futur de l’UE, dans lequel il concède volontiers que les peuples d’Europe tournent de plus en plus le dos au processus d’intégration européen. C’est un bon début pour ouvrir un profond débat sur l’Europe, non sur nos souhaits les plus optimistes mais avec le « pessimisme de la raison ». Et peut-être est-il intelligent que Mr Juncker ne présente dans son livre pas une seule proposition cohérente mais plusieurs scénarios. Les options données sont cependant loin d’être bonnes. La totale union financière et fiscale que représente son premier choix ne semble pas véritablement pouvoir se réaliser. Les scénarios qui restent sont les suivants: D’abord, continuer comme tel, ce qui bien entendu n’est pas souhaitable ou populaire puisque cette politique a mené l’UE dans l’impasse où elle se trouve. En second, transformer l’UE en une simple zone de libre échange ce qui reviendrait à capituler au nationalisme de l’extrême droite. Cela nous amènerait également à nous demander si les grands problèmes qui se posent à nos sociétés (l’ère digitale, la transformation écologique, les effroyables inégalités économiques) peuvent être surmontés par le libre échange et la libre concurrence dans des marchés dérégulés.
Reste alors une réponse à tout : une Europe a plusieurs vitesses d’intégration. Ok, avançons à différentes vitesses ! Mais cela ne nous fournit pas la réponse à la question décisive : dans quelle direction voulons-nous avancer? En effet, l’Europe et ses sociétés sont à un tournant historique. La gauche à jusque présent qu’exceptionnellement montré sa capacité à fixe rune direction. Dans beaucoup de pays, les peuples font plus preuves d’insatisfaction et de peur du futur en votant pour des partis nationalistes et racistes.
Nous sommes critiques de l’UE mais nous ne jouerons pas leur jeu. L’UE depuis sa fondation a été une entreprise capitaliste ; cependant le compromis sur lequel elle repose consistait en une combinaison d’Etats-Providence, de sociétés du plein-emploi ou les niveaux de vie augmentent et aux couches sociales diversifiées. Voici le compromis que la classe dirigeant a annulé au nom du néolibéralisme et dont le résultat désastreux est devant nous. C’est un problème social mais aussi politique. C’est pourquoi Mr Juncker a tord de croire qu’on puisse sauver l’Europe du péril nationaliste en appliquant les mêmes méthodes ! Il a également tord d’assumer qu’organiser une armée européenne soit un substitut à l’effondrement des Etats Providences.
Ce dont l’Europe a besoin, c’est un programme de rétablissement économique et social, un plan pour la transformation des modes de production et un vivre ensemble dans une société non genrée, écologique et d’égalité sociale. Un tel programme est concevable et faisable ! Alors quel est le problème ? Qu’est-ce qui nous n’empêche de faire ce qui peut être fait ? Nous avons appris du philosophe français Louis Althusser que ce qui est important n’est pas dit. La plus grande surprise du Livre Blanc est l’absence du mot « Démocratie » en 35 pages ! ET nous ne nous référons ici pas au déficit démocratique qui existe pourtant, imaginez si l’Union Européenne voulait adhérer à l’UE en tant que pays membre, elle serait sans doute rejetée ! Comment accepter cela ?
L’autre grand omission n’est pas moins inquiétante : elle concerne les traités actuels de l’UE, Maastricht, Lisbonne, Pacte de Stabilité et de Croissance, le Paquet Fiscale, etc soit un concentré de recommandations qui font du néolibéralisme la norme de base en vigueur en Europe. Ne pas se référer aux traités dans un tel contexte permet de ne pas les remettre en question. Mais comment mettre en place une Europe sociale et juste avec le règne du libre échange ?
Certaines personnes se prénomment Euro-fédéralistes. Pourquoi pas ! Mais le fédéralisme est une notion abstraite qui peut dire beaucoup de choses… Le renforcement d’un fédéralisme autoritaire semble avoir été l’idée principale retenue du débat et n’apportera sans doute pas la solution à notre dilemme.
Ce dont nous avons besoin, c’est l’idée d’une démocratie qui respecte autant le droit à l’autodétermination des peuples, que celui des Etats, des nations et des minorités nationales (quelles soient autochtones ou récemment arrivées). Et ce n’est pas en contradiction avec le besoin de voir émerger une démocratie transnationale, matérialisée par un véritable parlement européen élu au suffrage universel par tous les femmes et les hommes vivant sur le territoire européen. Un parlement qui supervise la BCE, le mécanisme de stabilité européen et qui décide d’un budget européen et élise une commission qui serait son organe exécutif.
Personne et même pas la Gauche n’est immunisée au virus du nationalisme qui monte les peuples et les travailleurs de différents pays les un contre les autres. Nous ne devons pas abandonner l’Europe, la laisser à la droite et l’extrême droite mais pour changer son processus de construction il faut la changer !
Notre Gauche que nous appelons radicale, se place dans la tradition de tous les mouvements démocratiques et pour les droits de l’Homme qui font partis de l’histoire et de la culture européenne. Ce que nous avons appris de ces combats, c’est que la démocratie n’a jamais été concédée gratuitement par la classe dirigeante. Jusqu’aujourd’hui elle a toujours été conquise à travers des mouvements de masse et des révolutions. L’Europe a besoin de changement et de mouvements de masse ou sa construction pacifique risque de s’effondrer de nouveau.
Nous devons nous réapproprier l’idée d’Europe Unie des 1% qui l’ont capturé au nom de leur pouvoir personnel et leurs profits ! Nous devons en faire un bien commun pour prouver qu’une autre Europe est nécessaire et possible !
Note
1. http://www.euronews.com/2017/03/22/calls-for-eurogroup-president-jeroen-dijsselbloem-to-resign-after-drinks-and