transform! europe à l’université d’été d’ATTAC

Dans un grand séminaire divisé en trois sessions, transform! europe a donné la parole à des universitaires, des syndicalistes, à des militants des mouvements sociaux et politiques progressistes afin de résoudre les problèmes les plus critiques auxquels l’Union européenne est confrontée : les politiques d’austérité et les alternatives, la réponse des syndicats européens face à la crise, le nouveau paysage politique après les élections européennes, les perceptions des citoyens de la crise et la participation électorale, ainsi que les relations entre les mouvements sociaux et les nouvelles constructions politiques.

1. Les politiques d’austérité, de nouvelles fractures et alternatives

Sept ans de gestion de crise dévastatrice, pilotée par les politiques d’austérité et soutenue par les institutions de l’UE et les élites au pouvoir, ont eu des conséquences énormes sur les législations du travail nationales et les droits de négociation des syndicats, ainsi que sur le commerce et les comptes courants dont les déséquilibres menacent l’économie mondiale dans son ensemble. En retour, les alternatives européennes aux recettes de la Troïka ont été développées par les syndicats et les réseaux d’économistes hétérodoxes – comme la Confédération européenne des syndicats et le groupe EuroMemo. Les présentations de Trevor Evans et de Steffen Lehndorff peuvent être trouvées sur la droite, à « Documentation ».
Steffen Lehndorff, de l’Institut du Travail et des Technologies (Duisburg, Allemagne), a ouvert le débat en traitant de la gestion des crises en Europe et de ses conséquences. Sa thèse principale peut se résumer comme suit : le processus d’intégration européenne a été marqué par des caractéristiques austéritaires – contraction d’austérité et d’autoritaire – renforcées depuis que la crise a éclaté. Les effets de ces recettes sur l’économie réelle, ainsi que sur la production nationale et les ratios dette/PIB des États touchés se sont avérés désastreux. L’exemple le plus frappant est évidemment la Grèce, dont le PIB en 2013 atteint seulement 75% de son niveau d’avant-crise de 2008 – tandis que la dette publique a augmenté de façon continue. La mise en œuvre des protocoles d’accord (Mémoradums) ou de politiques austéritaires plus douces comme réponse à la crise financière et économique a entraîné une forte hausse du chômage dans toute l’Europe – avec une intensité particulière dans les pays dits périphériques de l’UE. La crise a été utilisée comme une occasion de procéder à des réformes du marché du travail qui, par exemple, facilitent les licenciements et les contrats temporaires, restreignent le champ de la négociation et diminuent les salaires minimums contractuels. Cela juste pour en nommer quelques effets. D’autres arguments se trouvent dans le livre qu’il a publié, « Le triomphe des idées fausses. Modèles européens du capitalisme dans la crise1 »
Trevor Evans, coordinateur du groupe de l’EuroMemo2, a centré son exposé sur deux questions – la montée des déséquilibres commerciaux et des comptes courants entre les membres de la zone euro depuis l’introduction de l’euro en 1999 et les politiques économiques alternatives proposées par le groupe de l’EuroMemo. Le solde de la balance courante nous dit si un pays a un déficit ou un excédent pour les biens, les services, les revenus et les transferts courants. Les pays du Sud de l’UE ont un solde négatif, ce qui doit être compris dans le contexte du fort excédent de l’Allemagne. Ce phénomène a été alimenté par l’introduction de l’euro qui a sacralisé une politique monétaire indépendante de tout contrôle démocratique, mais certainement pas des institutions financières privées – dont les intérêts façonnent l’orientation politique. Le groupe de l’EuroMemo a défini un ensemble d’alternatives de différentes natures portant sur plusieurs domaines. Tout d’abord, la politique budgétaire doit être changée, de manière à promouvoir des emplois socialement et écologiquement souhaitables, offrant un « travail décent ». Mais pour ce faire, il faut immédiatement mettre un terme aux dispositions très restrictives du pacte budgétaire et éliminer les déséquilibres des comptes courants au sein de la zone euro. Deuxièmement, une nouvelle politique fiscale devrait être mise en œuvre, tous les États devant aller vers une imposition progressive et une harmonisation étroite entre eux. Troisièmement, s’agissant de la politique monétaire, les décisions de la BCE doivent être soumises à un contrôle démocratique et assurer un crédit adapté, à faible taux d’intérêt, pour soutenir l’investissement et l’emploi. Quatrièmement, un plan d’investissement authentique à l’échelle européenne pour la restructuration socio-écologique doit être mis en oeuvre – permettant une croissance durable et contribuant à la lutte contre la fracture entre « centre » et « périphérie » européens. Last but not least, il faut que la politique salariale et de l’emploi prenne une direction radicalement différente. La croissance des emplois peu rémunérés et de l’emploi précaire doit être inversée et l’écart entre la croissance de la productivité du travail et l’augmentation des salaires doit être comblé.
Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral de la FGTB belge, a rendu compte des propositions des syndicats pour sortir l’UE de la crise. Il faut pour cela une augmentation substantielle de la demande, ce qui suppose un plan d’investissement pan-européen. Les propositions énoncées au sein de la Confédération des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund – DGB) de plan Marshall pour l’Europe3 semblent susciter un large consensus et ont donc été largement intégrées dans le plan de la Confédération européenne des syndicats (CES) pour l’investissement, la croissance durable et des emplois de qualité4). L’accent mis sur la concurrence dans la gestion de la crise actuelle n’a fait rien d’autre que d’approfondir les clivages au sein de l’UE. Un tel grand plan d’investissement public est bien compris comme un outil pour parvenir à une plus grande cohésion et contribuer à réduire les disparités internes de l’UE. Pour vraiment donner à l’UE la possibilité de relever les défis sociaux et écologiques à venir, le CES recommande d’investir 2% du PIB de l’UE par an pendant dix ans dans l’efficacité énergétique, les industries durables, la recherche et le développement, ainsi que dans les services publics. Cela veut dire 260 milliards € par an. Selon Jean-François Tamellini, ces propositions, qui sont au moins mises sur la table et vont dans la bonne direction, ne répondent cependant pas aux questions fondamentales : la portée de la spéculation financière et le ratio capital-travail, très défavorableau travail. Après des décennies de discours néolibéral dominant et le choc de la crise économique, les classes laborieuses connaissent le désespoir – et des difficultés à croire en un changement social progressiste. Convaincre qu’un tel changement est possible doit être la priorité des syndicats s’ils veulent exercer une influence notable sur l’agenda politique européen.
Marc Delepouve, professeur de mathématiques (Lille, France), a enrichi la discussion en soulevant la question de la transition énergétique. Seule une transition énergétique à la fois progressive et écologique permettra de réduire considérablement la dépendance énergétique à l’égard des marchés financiers. C’est la raison pour laquelle cette question doit être abordée dans le cadre de chaque projet émancipateur visant à sortir de la crise à multiples niveaux dans l’UE.

2. Perceptions de la crise et nouveau paysage politique

Les élections au Parlement européen, qui se sont tenues du 22 au 25 mai, ont eu une résonance forte et doivent être évalués dans le contexte de la crise économique de longue terme qui secoue le continent dans son ensemble – même si c’est avec une intensité variable. Les partisans des politiques austéritaires ont été affaiblis – voués à gouverner ensemble, validant de facto la nouvelle fracture politique qui sépare ceux qui soutiennent les Memorandums et quiceux s’y opposent – et le taux de participation électorale n’a jamais été aussi faible. À quoi ressemble le nouveau paysage politique européen ? Comment les citoyens considèrent-ils la politique de changement social après sept années de crise mondiale ? Où se situe le gauche ? Quels ont été les ingrédients qui ont conduit à la montée de l’extrême droite et des forces politiques nationalistes en Europe ?
Walter Baier, économiste et coordonnateur de transform! europe, a consacré sa présentation à la situation de la gauche en Europe après les élections européennes. Le groupe confédéral de la Gauche unie au Parlement européen, GUE / NGL, progresse considérablement par rapport à la dernière législature – de 35 à 52 députés. Cette augmentation des sièges est principalement due à de très bons résultats de la gauche – dans sa diversité – en Espagne et en Grèce. Izquierda Unida a envoyé 5 députés à Bruxelles et à Strasbourg, l’élu de la coalition basque Bildu a rejoint le groupe GUE / NGL, et l’initiative citoyenne Podemos a réussi à obtenir 5 élus en dépit de – grâce à ? – sa nouveauté. Tandis qu’en Grèce Syriza a envoyé 6 députés à Bruxelles et à Strasbourg. Au-delà d’une certaine restructuration de la gauche européenne, ces résultats montrent que son message a été mieux entendu et formulé dans les pays du Sud les plus touchés par la crise. Une recherche menée par le bureau de Vienne de transform! europe montre que la gauche en Europe occidentale (dans les 9 premiers membres de la CEE) a connu une baisse structurelle dans les votes. Alors qu’elle obtenait 14,8% des voix à l’occasion des premières élections européennes en 1979, la gauche dans les 9 pays d’Europe occidentale n’en a recueilli que 5,14% des voix en 2014. La situation dans les pays de l’UE d’Europe centrale et européenne est encore plus fragile. À cet égard, le tableau ci-dessous est très instructif : sur les 12 981 378 votes pour la gauche en Europe en 2014, seulement 678 628 provenaient des États qui ont rejoint l’UE après 1995 – la plupart d’Europe de l’Est. Il s’agit d’un défi crucial qu’une authentique gauche pan-européenne ne peut pas se permettre de négliger.
Elisabeth Gauthier, directeur d’Espaces Marx et membre du bureau de transform! europe, a présenté les premiers résultats d’un projet de recherche franco-allemand en cours sur les perceptions et la conscience des citoyens dans la crise – dirigé conjointement par Espaces Marx et Sozialismus. Depuis le déclenchement de la crise, on peut noter une critique croissante du « système » politique et économique, ainsi que des recettes néolibérales. Le sentiment de malaise envers le « système » est devenu un sentiment de colère, avec l’approfondissement des conséquences sociales de la crise. Cependant, il y a clairement certaines limites dans les perceptions quand il s’agit des causes de la crise, des alternatives et de la crédibilité des moyens qui restent encore à explorer pour sortir de la crise. Une « colère sans cible », actuellement très favorable à l’extrême droite, prend de plus en plus de place dans l’espace public : les syndicats et les partis de gauche ne sont pour l’instant pas en mesure de la transformer en un projet émancipateur convaincant. Bien que les sondages montrent que, pour 90% des sondés français, la finance gouverne le monde et que, pour 51% des sondés de l’UE (à noter : 53% en Allemagne), l’austérité ne marche pas tout simplement, aucun changement radical progressiste du « système » politique et économique n’est en vue dans un proche avenir – à l’exception notable de la Grèce et peut-être bientôt de l’Espagne, comme les sondages récents le montrent. Même en Allemagne, souvent décrite comme un îlot de prospérité au milieu d’un océan d’incertitude, les fondations semblent plutôt fragiles. Au-delà de la peur de voir la situation se dégrader comme dans d’autres pays de l’UE, ce sont les inégalités internes croissantes qui menacent de porter atteinte davantage à la cohésion sociale allemande et provoquent le sentiment doux-amer de vivre dans un « paradis sous la menace ». Les fractions économiquement et socialement les plus fragiles de la population – celles qui auraient le plus besoin de politique – considèrent que la politique ne peut ou ne veut plus faire quelque chose pour eux. Plus généralement, il y a un manque de confiance dans la démocratie et la politique. Les citoyens les plus en colère pensent qu’ils donnent trop à la société par rapport à ce qu’ils reçoivent en retour : c’est le cas pour 74% des électeurs français. 64% d’entre eux estiment aussi qu’il y a trop d’étrangers. Le Front national a développé un discours « anti-systéme » très efficace et attire beaucoup plus d’électeurs que la gauche, comme les résultats des élections européennes 2014 le montrent.
René Monzat, journaliste et chercheur indépendant, a traité de l’ancrage de la droite extrême et nationaliste dans le paysage politique européen. Sa position a été encore renforcée après les élections européennes. Les partis qui gravitent autour de ce spectre politique ont profité des conséquences de la crise économique et de la critique croissante des élites politiques qui mettent en œuvre des politiques austéritaires, quel que soit le parti qu’elles représentent ou le programme pour lequel elles ont été élues. Au-delà de leurs différences, à la fois stratégiques et idéologiques, les forces politiques de la droite extrême et nationaliste ont réussi à sortir de la marginalité au point d’exercer une influence majeure sur les débats politiques – en particulier sur les questions relatives à l’immigration, l’identité nationale et ce qu’on appelle la fraude sociale. C’est devenu un phénomène pan-européen, une « réalité continentale ». La crise économique alimente une crise beaucoup plus importante qui affecte la conscience européenne dans son ensemble. Les gens ont cessé de croire en un projet émancipateur alternatif. Les évolutions politiques, économiques et sociales au sein de l’Union européenne sont difficiles à saisir, alors que le sentiment d’être « mis de côté » se développe. Ce nœud de changements ouvre la voie à la réussite électorale des forces de la droite nationaliste et extrême. Elle est de plus en plus perçue comme un acteur politique capable de fournir des solutions crédibles pour résoudre la crise multi-niveaux. La gauche a le devoir de répondre aux préoccupations exprimées par ces votes et de fournir des réponses progressistes aux questions soulevées par la droite nationaliste et extrême. À l’opposé des réponses sociales-démocrates, un nouveau projet de gauche devrait être en mesure de montrer les liens entre austérité, chômage et mondialisation. Et donc montrer que si la droite nationaliste et extrême colore son programme d’un zeste anti-néolibéral et pro-social, elle ne conteste pas les rapports sociaux capitalistes. La gauche doit mieux communiquer sur sa capacité d’articuler différents niveaux d’actions – locales, nationales, européennes et mondiales -, de sorte qu’un changement social progressif peut se produire. Régulation de la finance, du dumping social et fiscal, justice climatique, flux migratoires … Un retour dans le cadre d’un État-nation fondé sur une vision ethno-culturelle du « peuple » et la mise en œuvre des politiques sociales ciblant uniquement les citoyens nationaux sans une critique de fond de l’équilibre capitaliste du pouvoir – comme c’est le plus souvent proposé par la droite nationaliste et extrême – ne permettra pas de répondre aux défis transnationaux mentionnés ci-dessus. La gauche doit apprendre à investir cet espace politique plus efficacement si elle veut repousser l’extrême droite dans sa marginalité initiale.
Marie-Christine Vergiat, membre du Parlement européen (GUE / NGL – Front de Gauche), donne des détails sur la nouvelle composition du groupe parlementaire. Il diffère de celui de la précédente législature, non seulement par sa croissance importante, mais surtout parce qu’il est plus divers grâce à l’adhésion de nouveaux partis. Ceux-ci ont rejoint le groupe avec leur culture politique spécifique et il est probable que le groupe dans son ensemble bénéficiera de cette ouverture, qui est une valeur ajoutée pour mieux répondre aux défis à venir. La législature actuelle du Parlement européen est déjà confrontée à des questions cruciales : la sauvegarde des droits de l’homme dans le contexte de la montée de la droite nationaliste et extrême, la lutte contre la discrimination des minorités ethniques et des migrants, la lutte contre la discrimination entre les sexes et le chômage des jeunes – les deux phénomènes étant aggravés par l’approfondissement de la crise -, ainsi que la lutte contre les accords de libre-échange. Pour ces luttes politiques très concrètes et très corrosives, des batailles communes peuvent être menées avec d’autres groupes parlementaires progressistes – la plupart du temps avec les Verts européens. L’action politique de la GUE / NGL a conduit à des victoires sociales concrètes, telles que le droit pour tous d’avoir un compte bancaire. Il est de la plus haute importance de rendre de telles victoires plus visibles pour contrer la montée de la droite nationaliste et extrême.

3. Mouvements sociaux et nouvelles constructions politiques

La représentation politique traditionnelle est en crise, comme le montre la baisse continue du taux de participation électorale – avec l’exemple extrême des dernières élections européennes. Cependant, de nouvelles constructions politiques semblent réussir à attirer de nouveaux électeurs et, au-delà, à mener avec les citoyens une action politique au jour le jour. Les politiques austéritaires dures imposées par les Mémorandums ont conduit à une mobilisation citoyenne massive, bien au-delà des membres des partis. Des personnes sont descendues dans les rues pour réclamer les droits sociaux, économiques et démocratiques qui avaient été démantelés par la Troïka et d’importantes fractions des élites politiques nationales. Dans les pays les plus touchés par la crise et par sa gestion – comme la Grèce et l’Espagne -, le paysage politique a connu des changements radicaux. Les mouvements sociaux anti-austérité sont devenus des acteurs clés : SYRIZA a intégré de nombreux éléments du mouvement Occupy Syntagma et Podemos a pris directement le relais des Indignés. Quelles sont les conditions pour la création de ce type de nouveaux partis ? Quels sont leurs analyses de la crise politique européenne ? Quelles relations stratégiques veulent-ils établir avec les partis de gauche ?
Dragan Nikcevic, sociologue et membre de l’Initiative pour un socialisme démocratique, a ouvert la séance en présentant la situation politique de la Slovénie, ainsi que l’arrière-plan de la très jeune coalition de la Gauche unie. En comparaison avec les pays voisins, elle a un taux assez élevé de membres dans les syndicats. La tradition de la négociation collective est bien ancrée. Elle tendait à empêcher un certain radicalisme des revendications sociales. Du démembrement de la Yougoslavie jusqu’à l’éclatement de la crise financière mondiale, les syndicats ont joué un rôle majeur dans l’arène progressiste. La naissance de la coalition de la Gauche Unie doit être comprise à la lumière de deux événements interconnectés – l’un est global, l’autre régional. Le déclenchement de la crise financière mondiale a représenté un tournant majeur pour la « Suisse des Balkans », avec une flexibilité massive du marché du travail vers de plus en plus de précarité – en particulier pour les jeunes, avec la mise en place des « mini-jobs ». Déjà en 2007, un mouvement très efficace d’étudiants et d’universitaires précaires a eu lieu en Croatie. C’est dans ce contexte, et en s’appuyant sur la dynamique régionale, que l’Institut d’études du travail a été créé à Ljubljana. Ses membres, pour la plupart des universitaires précaires, ont été à l’avant-garde de l’Initiative pour un socialisme démocratique – à l’origine de nombreux projets éducatifs, l’université des Travailleurs et des Punks. La très jeune coalition de la Gauche Unie – créée à peine il y a six mois – n’est pas une simple coalition de partis, mais inclut également des mouvements étudiants et citoyens. Se présentant pour la première fois à des élections à l’occasion des européennes de 2014, elle a réussi à attirer 5,47% des électeurs – un nombre assez important, bien au-delà des projections des sondages et en dépit d’une maigre couverture médiatique. Elle a transformé l’essai peu de temps après, cette fois pour les élections nationales, en entrant même au Parlement – avec 6% des voix et 6 sièges.
Jorge Lago, sociologue et membre fondateur de Podemos, a centré sa présentation sur cette nouvelle formation politique espagnole. Né et conçu en janvier 2014 comme une plate-forme électorale pour les élections européennes, on peut dire de ce mouvement radicalement démocratique qu’il a atteint son objectif principal : il a réussi à remettre en cause les lignes politiques bien établies en envoyant 5 députés à Bruxelles et à Strasbourg, et en attirant plus de 100 000 citoyens devenus membres / militants du parti en moins d’un an. Si le jeune parti est né du mouvement du 15-M – le mouvement des Indignés qui ont occupé les places à partir du  15 mai 2011 à Madrid -, il ne veut pas et ne peut pas le représenter pleinement. Il est né dans une crise de régime profonde qui a des effets bien au-delà de la représentation politique. Le consensus politique, culturel et institutionnel a disparu, tandis que de nouveaux cadres de subjectivité sociale et politique ont commencé à jouer un rôle central. Afin de bien comprendre les implications du changement social, la crise économique doit être articulée avec la crise de régime. Il existe une désaffection totale à l’égard des politiques néolibérales mises en œuvre depuis près de 20 ans à la fois par les sociaux-démocrates (PSOE) et les conservateurs (PP), sans que Izquierda Unida (IU) soit vraiment capable d’inverser massivement la tendance. C’est cet espace politique que Podemos tente d’occuper. Pour ramener les citoyens à la politique, il a été décidé de créer de nouveaux axes de la représentation politique – « au-delà de la ligne droite/gauche traditionnelle » – et de construire un « nouveau projet politique » pour répondre à la colère des citoyens par « de nouvelles réponses progressistes ». Sinon, l’explosion sociale n’aurait eu aucune conséquence politique. Le but de Podemos était d’unir les acteurs du mouvement 15-M, la minorité active et les gens qui les ont soutenus – près de 90% de la population, selon les sondages. On doit proposer à cette partie importante de la population une offre politique pertinente pour apporter des réponses à leurs demandes sociales à travers une démocratisation radicale de tous les niveaux de l’action politique. En d’autres termes, l’idée était de créer un « nous » qui n’existait pas jusqu’à présent et de s’unir contre l’oligarchie financière, les élites politiques corrompues et la Troïka. Mais à partir de cette dialectique contradictoire, on doit passer d’un discours « anti » à une force positive, avec de nouvelles propositions émancipatrices. Il ne devrait pas en rester – une fois encore – aux objectifs finaux de l’action politique ou de l’engagement collectif, mais plutôt traiter « l’ici et maintenant » afin de répondre au besoin d’agir concrètement aujourd’hui. Podemos refuse d’en « rester au confort d’un renvoi de l’action politique au futur » et vise à associer le plus grand nombre possible de citoyens dans l’action démocratique actuelle.
Nikos Graikos, professeur de grec moderne et activiste à SYRIZA Paris, a commencé sa présentation consacrée au développement de la force politique grecque de gauche par une brève comparaison avec Podemos. S’ils partagent une forte volonté de « faire de la politique autrement », SYRIZA affirme un autre héritage politique, fondé sur une riche tradition historique et révolutionnaire. Le parti est né en grande partie de la coalition électorale Synaspismos – qui, au début, incluait le parti communiste grec (KKE), autrefois puissant, jusqu’à la scission de 1991. SYRIZA a grandi et s’est développé sans renoncer à la diversité des traditions politiques en son sein – pour n’en nommer que quelques-unes : féministe, écologiste, marxiste, maoïste, etc. Il a ajouté à son nom une composante « mouvement » en 2003 – ce qui montre, au-delà de l’effet cosmétique, une relation particulière avec les mouvements sociaux. Il a fermement exprimé sa solidarité avec la révolte de la jeunesse qui a suivi la mort aux mains de la police d’Alexis Grigoropoulos, 15 ans, le 6 décembre 2008. C’est l’une des différences les plus importantes avec le KKE qui ne cesse de se concentrer sur lui-même et ses membres, sans tendre la main à d’autres organisations. Lorsque SYRIZA dit dans un de ses slogans politiques : « Non à la politique par délégation », cela signifie qu’il ne veut pas remplacer une vérité idéologique pure et parfaite – à savoir celle de la Troïka – par une autre et se considérer comme un « sauveur par substitution au sauveur néolibéral qu’est la Troïka ». La liste présentée à l’occasion des élections européennes reflète l’engagement de SYRIZA pour l’ouverture, avec 50% de membres du parti et 50% de membres des mouvements sociaux et citoyens. Cette recette a prouvé son efficacité – comme l’ont montré les résultats des européennes et, peu de temps après, ceux des élections régionales. Mais même si le parti devait former le gouvernement demain, il ne dirait pas qu’il a vraiment pris le pouvoir, celui-ci continuant à rester aux mains des marchés financiers. SYRIZA a besoin de construire ou de renforcer les alliances politiques, sociales et citoyennes à tous les niveaux de l’action politique – local, national et européen.
Annick Coupé, ancienne porte-parole du syndicat français Solidaires, a conclu le débat. La « division du travail » traditionnelle entre les syndicats et les partis politiques a pris fin. Cette vision est maintenant obsolète, en dépit des habitudes persistantes. L’idée selon laquelle « les luttes porteront des fruits plus tard » est actuellement contestée. Les gens ne croient plus guère que les choses peuvent changer et s’améliorer à long terme par la mobilisation sociale. Aucun mouvement social a seul la réponse à tous les problèmes liés à la crise systémique. En outre, la distinction gauche-droite est devenue floue – comme on peut le voir avec le néolibéralisme du président Hollande – et ce manque de marqueurs politiques alimente la désaffection des citoyens pour la politique. La question de la démocratie va bien au-delà du cadre électoral. Comme on peut le voir dans les quartiers populaires, les gens ont cessé de croire que les politiciens peuvent résoudre leurs problèmes quotidiens et améliorer leurs conditions de vie. Mais cette désaffection ne conduit pas à développer un mouvement citoyen pour plus de démocratie par le bas. Et le risque que la colère des citoyens se transforme en un mouvement réactionnaire doit être pris en considération. Certaines tendances allant dans ce sens ont été notées en France, avec les manifestations contre l’extension du droit au mariage pour les couples homosexuels. Ce qui importe, c’est de rechercher des convergences entre les luttes en cours, afin d’articuler une vision du monde progressiste – qui « pourrait être basée, par exemple, sur les biens communs ou le buen vivir ». Les mobilisations ne se « décrètent pas d’en haut », sans un soutien populaire.

1http://www.etui.org/Publications2/Books/A-triumph-of-failed-ideas-European-models-of-capitalism-in-the-crisis

2www.transform-network.net/uploads/tx_news/EuroMemo2014_EN_04_02_2014.pdf

3www.dgb.de/themen/++co++d92f2d46-5590-11e2-8327-00188b4dc422

4www.etuc.org/sites/www.etuc.org/files/EN-A-nouveau-chemin-de-europe.pdf

4. Atelier La recherche publique, pour qui ? Pour quoi faire ?

Organisé par le SNESUP-FSU1, Espaces Marx France et Transform!

Les présentations d’Isabelle Bruno, Marc Delepouve, Janine Guespin et Claude Calame ont été suivies d’un échange avec l’ensemble des participants. La séance a été particulièrement riche ; ce compte-rendu en propose une courte et incomplète synthèse.

Le siècle des lumières (voir des auteurs tels que Kant) offre une conception du savoir et une définition du citoyen qui constituent une boussole pour la recherche, comme pour l’éducation. Après la seconde guerre mondiale, l’institutionnalisation de la recherche s’est fortement accrue en Europe ; le principe général était alors celui d’une recherche publique jouissant d’une liberté dont les retombées allaient servir le développement économique et la société en général. Cette liberté n’était pas totale et n’échappait pas à l’instrumentalisation militaire.

Une tension entre autonomie de la recherche et liaison à la société nécessite une démocratie des choix sur les priorités, les objectifs et les applications des recherches. Il est important d’inventer les formes de cette démocratie, prenant en compte des expériences déjà réalisées telles les conférences de citoyens.

Or, depuis le début des années 1980, suivant des scénarios différent selon les pays, la recherche publique est progressivement mobilisée pour la guerre économique et soumise à la domination des entreprises multinationales : mobilisation et soumission consécutives aux politiques de liberté de circulation des capitaux et de libre échange. Le résultat est aux antipodes du message du siècle des lumières, au détriment de la démocratie et de la lutte efficace contre les problèmes cruciaux tels que le bouleversement climatique ; certains travaux de recherche publique contribuent même à l’aggravation de ces problèmes.

Les sciences humaines et sociales (SHS) sont particulièrement victimes de cette réorientation. En France, les derniers appels d’offres de l’Agence national de financement de la recherche (ANR) laissent une place aux SHS, mais pour l’essentiel dans une instrumentalisation de celles-ci au service d’un projet industriel et politique. De plus, les SHS sont aujourd’hui en partie orientées vers les big data, ces énormes bases de données extraites d’Internet. Se développe ainsi une certaine conception des SHS qui peut, en retour, servir au traitement de ces big data pour les pouvoirs économiques et politiques.
La recherche est un outil de connaissance mais aussi de pouvoir, et l’avenir dépend fortement d’elle. Il ne peut y avoir de démocratie effective sans un certain contrôle démocratique et citoyen de la recherche. C’est pourquoi la diffusion de la culture scientifique et celle de la connaissance de la science, de la recherche et de leurs enjeux pour la société, sont à mettre au premier plan de tout projet d’une autre Europe, de tout projet altermondialiste.
Marc Delepouve

1. Syndicats français d’universitaires

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