Le Président du « Parti ouvrier de Hongrie 2006 » et membre du secrétariat du Parti de la gauche européenne, Attila Vajnai, présente une analyse de gauche sur les récentes législatives hongroises.
Dès les premiers résultats tombés, Fidesz était donné gagnant avec 53 % au scrutin de liste. Le parti d’extrême droite a obtenu deux tiers des sièges au Parlement.
Le système électoral hongrois, que Fidesz a fait modifier à son profit, est un système mixte, où scrutin de liste national et scrutin uninominal de circonscription se complètent. Ainsi, 106 représentant·es du Parlement sont élu·es par la voie uninominale et 93 autres via le scrutin de liste. Seuls les partis qui présentent des candidatures dans au moins 71 des 106 circonscriptions sont autorisés à se présenter aussi au scrutin de liste. Et seulement les candidatures obtenant 500 signatures (environ 1 % de la base électorale) sont validées pour le scrutin uninominal de circonscription. Enfin, un seuil de voix de 5 % est fixé pour qu’une liste obtienne effectivement des sièges au Parlement.
Parallèlement aux législatives était organisé un référendum sur la « protection de l’enfance » — euphémisme désignant le banissement de toute représentation de personnes LGBT dans des supports éducatifs à destination de la jeunesse. La motion n’a pas franchi la barre des 50 % nécessaire.
En 2010, sous l’ancienne loi électorale, la coalition droite/extrême droite Fidesz-KDNP (Parti populaire chrétien-démocrate) avait conquis le pouvoir avec une majorité des deux tiers. La raison principale de cette victoire écrasante était la crise de légitimité engendrée par la casse à la fois idéologique et économique opérée sous le gouvernement néolibéral précédent. Fidesz avait promis de faire un grand ménage et avait très vite instauré un régime autoritaire et protectionniste en place de l’État de droit existant sans rencontrer d’opposition. Ce système — appelé par le nouveau pouvoir « système de coopération nationale » — répondait totalement aux besoins du capital multinational, mais soutenait et renforçait aussi la grande bourgeoisie nationale, transformant la Hongrie en paradis fiscal. L’idéologie qui le porte entretient une correspondance formelle avec celle du régime fasciste-clérical de l’entre-deux-guerres, et bénéficie aujourd’hui d’une large base sociale. Au cours des douze années passées, le gouvernement s’est attribué tous les rôles clés des pouvoirs tant administratifs qu’économiques et médiatiques. Et il a remodelé le système électoral à son profit.
L’opposition citoyenne et démocratique a été littéralement incorporée à ce système, et ne s’est distinguée par aucune activité remarquable ni à l’intérieur ni à l’extérieur du Parlement. Et dans les 3 200 municipalités hongroises, à l’exception de quelques petites centaines d’entre elles, l’opposition légale a brillé par son absence ou bien n’a assuré qu’une présence toute formelle. Elle a perdu sa crédibilité à un tel point que la dernière élection en 2018 n’a pas seulement vu la victoire du Fidesz, mais également l’avènement du parti Jobbik, son allié idéologique de facto, devenu à cette occasion le plus important groupe parlementaire d’opposition.
L’opposition citoyenne et démocratique, au prétexte que Jobbik se serait démocratisé, a passé avec ce parti un pacte qui est bien plus qu’une simple alliance électorale, allant jusqu’à inclure un programme commun. Pour légaliser ce pacte, elle a tenu en 2021 une primaire à laquelle seules les personnes membres des six partis de la coalition étaient autorisées à participer mais, avant même la tenue de cette primaire, on pouvait voir déjà une compétition entre partis à qui coopérerait le mieux avec Jobbik. L’alliance, alors dénommée Opposition Unie (ou Unis pour la Hongrie, composée de huit différents partis allant des Verts et sociaux-démocrates jusqu’à Jobbik), s’est muée en formation ostensiblement de centre/centre-droit, avec un programme économique identique à celui de Fidesz sur les questions essentielles et une idéologie ressemblant à une version primitive de l”anticommunisme euro-atlantique, dans laquelle le communisme et le nazisme sont mis sur le même plan.
Opposition unie a fondamentalement renoncé à assurer la représentation des personnes les plus démunies, des gens en pauvreté extrême ou des Roms. Et, depuis l’éclatement de la guerre russo-ukrainienne, le groupe s’est montré russophobe de manière acritique. Depuis des mois, au lieu d’établir un programme et de convaincre l’électorat, il s’est enlisé dans les querelles de répartition des futurs sièges parlementaires. Fidesz, pendant ce temps, a joué la carte de la force tranquille et de la sécurité, ce qui, comme l’ont montré les résultats, lui a été suffisant pour se maintenir au pouvoir. Fidesz a été aidé encore en cela par ses vastes mesures de saupoudrage financier à grande échelle en direction des personnes retraitées, des familles et des jeunes.
Le système actuel est par ailleurs économiquement intenable. Des mesures d’austérité sévères sont envisagées, face auxquelles il convient d’organiser la résistance. Les luttes des travailleurs et travailleuses, celles des retraité·es, des étudiant·es, des femmes, des minorités, des personnes malades et oppressées se se dérouleront pas au Parlement mais dans la rue, dans les usines, les syndicats, les piquets de grève, les bureaux, et les cours de justice.
Nous n’avons aucun doute que Fidesz sera incapable de continuer à gouverner dans la stabilité via des mesures économiques et sociales, et cherchera donc à se maintenir au pouvoir en opérant un glissement vers une dictature à la Erdogan. Face à cette situation, seule une politique de gauche ouvre des perspectives. La tâche présente est d’unir et renforcer la gauche critique envers le système.