Comme illustré par la dernière crise économique dont les effets ont été maîtrisés par la Grèce, l’Union Européenne sert de béquille pour maintenir les logiques défectueuses du marché contre la démocratie. Alors qu’une nouvelle crise bancaire d’une magnitude sans précédant menace, il est plus qu’urgent d’agir.
Selon Hervé Hannoun et Peter Dittus, respectivement ancien directeur général adjoint et secrétaire général de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), nous sommes à l’aube d’une des pires crises bancaires de notre histoire. Ce couple franco-allemand, qui ne peut pas être suspecté d’indulgence envers la gauche a tiré une telle conclusion dans leur livre intitulé « Un révolution nécessaire »( ‘Revolution Required’).
Quand le Parti de Gauche s’était créé il y huit ans, un autre couple franco-allemand s’était constitué avec Jean-Luc Mélenchon et Oskar Lafontaine, ceux-ci tiraient la même conclusion. Ils ne furent pas écoutés, la crise de 2008 eut lieu et en conséquence la Grèce fut outrageusement mise sous tutelle. Le premier sommet du Plan B pris place à Paris à l’initiative de Jean-Luc Mélenchon, Zoé Konstantopoulou(Grèce), Stefano Fassina, ancien ministre italien des finances, Oskar Lafontaine, fondateur de Die Linke, et de nombreux sociologues, juristes, et acteurs de différents mouvements nationaux et européens. Notant que la capitualition de la Grèce « fut atteinte par la fermeture de banques grecques par la Banque Centrale Européenne (BCE) et la menace de ne pas les rouvrir tant que le gouvernement n’accepterait pas une nouvelle version de leur programme failli », les participants s’accordèrent de ne plus jamais laisser les peuples être victimes de chantage ! Cette initiative a très vite atteint une vingtaine de pays, présents aux sommets de Madrid, Copenhague, et Rome et est devenue une source d’inspiration pour la réinvention de l’Europe. L’observation émise au premier sommet est devenue largement acceptée : « Nous devons échapper à l’inanité et l’inhumanité des traités européens actuels et les refonder afin de les libérer du carcan néolibéral, abroger les traités budgétaires et refuser le traité de libre échange avec les Etats-Unis (TTIP) ». Ces traités sapent les capacités des états à intervenir économiquement et les forcent ainsi à déléguer leurs devoirs au secteur privé, amenant une marchandisation du monde qui n’a préservé aucun aspect de la vie humaine (santé, éducation, transport, alimentation, logement et même la terre elle même). Après neuf ans de politiques d’austérité, même les partis sociaux-démocrates qui avaient aidé à les mettre en place ont doucement commencé à admettre que le retrait des traités est nécessaire. Oui, mais comment ? C’est là que le Plan A rentre en action.
Certains points des traités sont non négociables ; ils ne pourraient être amendés qu’unanimement par les 28(bientôt 27) états membres, une condition bien improbable à atteindre. Il n’y aurait ainsi aucune autre solution que de mettre en place, comme le Royaume-Uni l’article 50 qui déclenche la sortie de l’Union Européenne, amenant tous les états membres dans un état d’isolation, incapables de négocier quoi que ce soit puisque l’UE ne cédera sur rien. En réalité, la force des traités est en grande partie une illusion. Il suffirait de se rappeler qu’après avoir sombrée aussi profondément dans l’absurde et contreproductive austérité, la Banque Centrale Européenne a rompu avec son mandat pour inonder le continent de liquidités. Personne ne s’y est vraiment opposé à l’exception d’une minorité d’ordolibéraux déterminés en Allemagne. Mario Draghi été même célébré en grand sauveur pour avoir fait exactement ce que les économistes de gauche l’avaient pressé de faire dès le début, bien que l’ayan mal fait puisque son stimulus monétaire n’a finalement bénéficié qu’aux banques privées qui n’ont pas manqué l’opportunité de spéculer avec l’argent publique. Pas un seul état n’a été puni pour avoir échoué à respecter les règles budgétaires intenables. L’Allemagne, dont l’excédant commercial enfreint les règles de l’UE sur les déséquilibres excessifs, est félicité pour celui-ci. Les traités comme les promesses n’engagent que ceux qui y croient. L’Union Européenne n’est pas asphyxiée par ces traités mais par les institutions qui décident de les appliquer quand bon leur chante. Cela dit, il est communément accepté que l’ennemi est « Bruxelles », un pouvoir dominant les états membres. C’est une autre incompréhension. La Commission Européenne, loin d’être le membre exécutif européen n’est pas là où réside le vrai pouvoir. Celui-ci se trouve en vérité au Conseil Européen et au Conseil de l’Europe, soit à la tête des états et avec leurs ministres. Sa définition officielle déclare que le Conseil Européen n’a pas de fonction législative mais est néanmoins « un centre véritable centre de prise décision politique » et « pourvoit le nécessaire élan au développement de l’Union », mettant en place les priorités et les lignes directrices. En d’autres termes, c’est le Conseil Européen qui détermine l’esprit des lois proposées ensuite par la Commission et soumises au Conseil Européen des Ministres. Le Parlement Européen lui n’agit que comme chambre d’enregistrement.
Plus encore, le Conseil n’est pas un corps supranational, mais un lieu où les états s’affrontent et où la volonté d’un ou plusieurs s’impose sur les autres. « Bruxelles » et « L’Europe » sont ainsi des entités abstraites qui masquent à peine la vieille confrontation entre pouvoirs rivaux. A travers ces pouvoirs, le gouvernement conservateur allemand est celui qui a le plus eu réussi à imposer son agenda à ses partenaires. Il est ainsi tentant de considérer que le combat pour la transformation de l’Europe est en premier lieu et avant tout contre l’Allemagne. Cela n’est que partiellement vrai.
Tout d’abord parce qu’il existe en Allemagne une opposition. Les conservateurs allemands n’ont de plus pu agir qu’avec la complicité des autres gouvernements conservateurs ou sociaux-démocrates à travers l’Europe. Ils n’ont cessé d’établir un modèle tout en se cachant pitoyablement derrière le soit disant pouvoir du gouvernement allemand pour mieux justifier leurs renoncements. Les conservateurs allemands n’ont jamais eu d’opposants assez déterminés ou préparés, il suffira d’un seul. Il suffira d’un seul car le système actuel est au bord de l’effondrement. Un seul lien se brisant dans la chaîne des institutions suffirait à l’affaissement généralisé. Cela arrivera si les mesures contenues dans le Plan A ne préviennent pas ce désastre. Le risque d’un tel déclenchement pourrait sortit du sol ceux qui ont fait l’autruche ces dernières années.
Amener un gouvernement de gauche de transformation sociale au pouvoir est ainsi une des possibles sorties de crise dans le future. Cependant, un tel gouvernement devra être capable de compter sur un large soutien populaire, conscient des enjeux et prêt à mener bataille. Il existe aussi la possibilité distincte que la réforme de l’UE en quittant ses traités échoue. Même si l’UE était amenée à s’effondrer sous le poids de ses contradictions, ce ne serait pas la fin de l’histoire.
Ce dont nous avons besoin est une désobéissance coordonnée à l’UE. Par exemple, si un état entendait introduire une taxe écologique et sociale aux frontières de l’Union Européenne et se voyait faire face à un refus des autres états, il lui faudrait alors l’introduire à ses propres frontières assurant ainsi un effet de contagion des autres partenaires intéressés. « Le but n’est pas d’obtenir les meilleurs résultats dans chaque pays en s’appuyant sur les différents degrés de latitude que leur permet la force de leur économie et leur poids démographique » déclare Eric Coquerel « mais de travailler ensemble à un Plan B concret qui prenne en compte les caractéristiques de chaque pays » (quelles soient politiques, économiques ou sociales).
Seulement ainsi, le slogan « une autre Europe » peut prendre sens alors qu’elle était jusque là condamnée par la règle de l’unanimité qui de facto sanctuarisait la doctrine néolibérale. Sur les question monétaires par exemple, de nombreuses politiques peuvent varier de la sortie de la zone Euro à la monnaie unique ou une réforme du système monétaire. Mais tous s’accordent avec la devise du Bloc de Gauche portugais « plus un sacrifice pour l’Euro ».
Si un plan B était mis en place, il serait crucial que le plan A ait enclenché une mobilisation populaire qui permettrait de soutenir les états s’engageant dans la voie de la refondation européenne mais également de ramener à la vie l’idéal internationaliste de solidarité sapé une UE qui a opposé les peuples les uns aux autres. Ce renouveau de l’internationalisme est une priorité absolue. Les soutiens de l’Union Européenne telle que nous la connaissons ont déployé des moyens considérables pour répandre une vision téléologique de la construction européenne en tant qu’idéal à accomplir. L’Europe serait alors le berceau de la démocratie et des droits humains, elle aurait alors une cohérence essentielle et une unité politique qu’il aurait fallu attendre des siècles à achever et à voie perdurer. Une fois ce mythe accepté, l’Union Européenne devient un sacrosaint projet qui doit être protégé aux prix de tout sacrifice : sa valeur métaphysique peut alors justifier les désastres matériels voire même la brutalité physique plutôt sa remise en cause.
Il est ainsi important d’insister que le mythe d’une telle Europe existe sans l’ombre d’une preuve. Il n’y a pas de précise définition de ce qu’est « l’Europe ». Bien connue est la déclaration de Charles de Gaulle d’une Europe qui s’étend de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, sa frontière naturelle avec l’Asie. Pourtant la chaîne de l’Oural n’est pas du tout une frontière : des peuples asiatiques et caucasiens ont vécu de chaque part de ses montagnes. Les monts Oural ne séparent pas non plus des entités politiques puisqu’ils traversent la Russie. La frontière oriental de l’Europe n’est pas claire : la Grèce fut ottomane pendant près de six siècles. Au sud, l’Europe est naturellement délimitée par le Détroit de Gibraltar, détroit qui n’a pas empêché les Arabes de s’installer en Espagne ou les états européennes de coloniser l’Afrique. La complexité du continent historique n’est cependant pas du tout prise en compte par ce mythe européen qui résume l’Europe en la Grèce antique, Mona Lisa et Goethe. Des discussions sans fin sur les limites des frontières de l’Union Européenne s’ensuivent.
Ce spectre culturel étroit, réduit à quelques symboles pourrait aisément être confondu avec le vieux colonialisme : la privation de leur souveraineté des pays de l’Europe du sud va de paire avec la stigmatisation de leur peuple, comme ce fut le cas des Grecs, un jour honorés comme inventeurs de la démocratie et le jour d’après désignés au moyen des tristement célèbres stéréotypes généralement réservés aux peuples de l’autre côté de la Méditerranée.
Rejeter le mythe européaniste c’est ainsi rouvrir l’horizon des possibles. Si la construction Européenne s’avère être impossible à réformer, toutes les options resteraient ouvertes pour forger de véritables relations de coopération et d’échanges égaux dont notre monde a tant besoin sous peine de tomber dans les abysses.